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III

De quoi serviraient des ailes à qui gémirait dans les fers ? elles ne feraient qu’accroître son désespoir. J’étais, comme le dragon qui couve son trésor, dépourvu de toute consolation humaine, et misérable au sein de mes richesses ; je les maudissais comme une barrière qui me séparait du reste des mortels. Seul, renfermant au dedans de moi-même mon funeste secret, réduit à craindre le moindre de mes valets, et à envier son sort, car il pouvait se montrer au soleil et réfléchir devant lui son ombre, j’aigrissais ma douleur en y rêvant sans cesse. Je ne sortais ni jour ni nuit de mon appartement ; le désespoir peu à peu s’emparait de mon cœur, il le brisait, il allait l’anéantir.

J’avais un ami cependant, qui, sous mes yeux, se consumait aussi de chagrin : c’était mon fidèle Bendel, qui ne cessait de s’accuser d’avoir trompé ma confiance en ne reconnaissant pas l’homme dont je l’avais chargé de s’informer, et auquel il devait croire que se rattachaient toutes mes douleurs. Pour moi, je ne pouvais lui faire