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Je m’éveillai. Il paraissait être encore de fort bonne heure ; ma montre était arrêtée ; j’étais brisé, et de plus je mourais de besoin : je n’avais rien pris depuis la veille au matin. Je repoussai avec dépit loin de moi cet or dont peu auparavant j’avais follement enivré mon cœur. Maintenant, inquiet, triste et confus, je ne savais plus qu’en faire. Je ne pouvais le laisser ainsi sur le plancher. J’essayai si la bourse de laquelle il était sorti aurait la vertu de l’absorber ; mais non, il ne voulait pas y rentrer. Aucune de mes fenêtres ne donnait sur la mer ; il fallut donc prendre mon parti, et, à force de temps et de peines, à la sueur de mon front, le porter dans une grande armoire qui se trouvait dans un cabinet attenant à ma chambre à coucher, et l’y cacher jusqu’à nouvel ordre ; je n’en laissai que quelques poignées dans mon appartement. Lorsque ce travail fut achevé, je m’étendis, épuisé de fatigue, dans une bergère, et j’attendis que les gens de la maison commençassent à se faire entendre.

Je me fis apporter à manger, et je fis venir l’hôte, avec lequel je réglai l’ordonnance de ma maison. Il me recommanda, pour mon service personnel, un nommé Bendel, dont la physionomie ouverte et sage m’inspira d’abord la confiance. Pauvre Bendel !! c’est lui dont l’attachement a depuis adouci mon sort, et qui m’a aidé à supporter mes maux en les partageant. Je passai toute la journée chez moi avec des valets sans maîtres et des marchands. Je montai ma maison et ma suite conformément à ma