cèrent à me chagriner. J’évitai avec le plus grand soin de marcher au soleil, mais il y avait des carrefours où l’on ne pouvait faire autrement, comme, par exemple, au passage de la grande rue, où, quand j’arrivai, pour mon malheur, justement les polissons sortaient de l’école. Un maudit petit bossu, je crois le voir encore, remarqua d’abord ce qui me manquait, et me dénonça par de grands cris à la bande écolière du faubourg, qui commença sans façons à me harceler avec des pierres et de la boue. — « La coutume des honnêtes gens, criaient-ils, est de se faire suivre de leur ombre quand ils vont au soleil. » Je jetai de l’or à pleines mains, pour me débarrasser d’eux, et je sautai dans une voiture de place que de bonnes âmes me procurèrent.
Aussitôt que je me trouvai seul dans la maison roulante, je commençai à pleurer amèrement. Déjà je pressentais que, dans le monde, l’ombre l’emporte autant sur l’or que l’or sur le mérite et la vertu. J’avais jadis sacrifié la richesse à ma conscience ; je venais de sacrifier mon ombre à la richesse. — Que pouvais-je faire désormais sur la terre ?
Je n’étais pas encore revenu de mon trouble lorsque la voiture s’arrêta devant mon auberge ; l’aspect de cette masure m’indigna ; j’aurais rougi de remettre le pied dans le misérable grenier où j’étais logé. J’en fis sur-le-champ descendre ma valise, je la reçus avec dédain, laissai tomber quelques pièces d’or, et ordonnai de me conduire au plus brillant hôtel