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— Sans doute, et je serais alors inutile à la société.

Hatimthai est tout à coup saisi d’étonnement.

— Sache, ajoute Zilcadé, quelle est ma philosophie. Il plaît à la vanité d’Hatimthai d’avoir des pauvres à sa porte ; il est peut-être orgueilleux et peut-être heureux seulement de sa bienfaisance. Que m’importe ? Je reçois ses dons, qui m’évitent les maux de la vie et me laissent du tems libre que j’emploie à faire autant de bien que lui.

Hatimthai est encore plus étonné.

— Sans doute, ajoute Zilcadé, quand j’ai reçu à ta porte le déjeuner du matin, je me sens fort et bien portant. Je vais chez cette pauvre et faible Rhège, qui demeure au bord du fleuve, et qui a six enfans en bas âge. C’est moi qui jette et qui attache ses filets ; et après le repas du soir, je vais les retirer. Le poisson qu’elle recueille ainsi lui suffit pour nourrir sa famille. Dans le cours de la journée, je me promène au marché sans rien faire, mais j’y vois le prix de chaque denrée, et je vais en rendre compte à nos riches marchands, qui évitent ainsi de se déranger de leur commerce. Très souvent je découvre des tromperies dont je préviens les acheteurs ; et souvent aussi je donne de bons conseils aux hommes des campagnes, pour