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sur Chamfort.

préparation aux trois convives, qu’ils eussent à faire leur paquet, & qu’il avait ordre de les ramener, à l’instant même, dans une maison d’arrêt. Chamfort crut que c’était aux Madelonnettes qu’on voulait le réconduire ; & il se souvint de son serment. Sous prétexte de faire ses préparatifs, il se retira dans son cabinet, au bout de la galerie où était sa bibliothèque ; il s’y enferme, charge un pistolet, veut le tirer sur son front, se fracasse le haut du nez & s’enfonce l’œil droit. Étonné de vivre, & résolu de mourir, il saisit un rasoir, essaie de se couper la gorge, y revient à plusieurs fois & se met en lambeaux toutes les chairs : l’impuissance de sa main ne change rien aux résolutions de son ame : il se porte plusieurs coups vers le cœur, & commençant à défaillir, il tâche par un dernier effort de se couper les deux jarrets & de s’ouvrir toutes les veines. Enfin vaincu par la douleur, il pousse un cri & se jette sur un siège, où il reste presque sans vie. Le sang coulait à flots sous la porte. Sa gouvernante entend ce cri, voit ce sang ; elle appelle, on vient, elle frappe à coups redoublés : on enfonce la porte ; le spectacle qui s’offre aux yeux interdit toute question. Chacun s’empresse à étancher le sang avec des mouchoirs, des linges, des bandages. On transporte le mourant sur son lit. Des gens de l’art & des officiers civils sont appellés : tandis que les uns préparent l’appareil nécessaire à tant de blessures, Chamfort d’une voix ferme, dicte aux autres une déclaration ainsi conçue : « Moi, Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, déclare avoir voulu mourir en hom-