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Notice

La maison où ils furent conduits[1] était incommode & mal saine. L’auteur du Voyage d’Anarcharsis n’y resta que jusqu’au lendemain, comme si l’on se fût contenté d’avoir insulté dans sa personne, l’érudition, la philosophie, la vertu & la vieillesse. Chamfort & les deux autres en furent aussi retirés quelques jours après ; mais il y avait déjà beaucoup souffert ; ses infirmités habituelles exigeaient des soins, & souvent de la solitude : il n’avait pu ni se soigner, ni être seul un instant. Il conçut dès-lors pour la prison une horreur profonde & jura de mourir plutôt que de s’y laisser reconduire ; il n’en était pas sorti tout-à-fait libre : on lui avait donné un gendarme, & quoiqu’il fût alors d’usage de ruiner par ce moyen ceux qui préféraient ce genre de captivité à la réclusion, l’on avait consenti à partager la surveillance d’un seul garde, entre Chamfort & ses camarades. Ils le payaient & le nourrissaient en commun ; ils avaient la simplicité de le faire manger avec lui ; & dans ces dîners de détenus, Chamfort parlait tout aussi librement qu’il l’eût jamais fait au milieu des sociétés les plus sûres.

Cela dura plus d’un mois ; & pendant ce tems, la tyrannie faisait chaque jour des progrès sanglans ; chaque jour il devenait, pour un honnête homme, plus difficile, mais aussi plus indifférent de vivre. Un jour, à la fin du repas, le gendarme dit cruement & sans

  1. Les Madelonnettes.