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sur Chamfort.

regarder comme au-dessus de son âge cette capacité qu’il a déployée depuis dans de plus grandes affaires, & dans les premiers emplois[1].

Malgré ce secours, Chamfort sentait de jour en jour davantage le poids des chaînes que lui imposaient les attentions & les égards mêmes du Prince : il se trouvait malheureux de l’idée de ne pouvoir y échapper ; il crut rompre d’abord une partie de ses fers en remettant son brevet d’appointemens, & accorder ce qu’il devait aux instances du Prince en restant dans son Palais ; mais bientôt encore il s’y trouva mal à son aise, & ne cessa de se tourmenter qu’il n’eût tout-à-fait quitté son appartement & brisé tous les liens dont il se sentait garotté.

Il avait mis dans la conduite de cette séparation toute l’adresse dont son esprit était capable, pour qu’elle ne devînt point une rupture. Il était entre les pattes du Lion, il s’agissait d’en sortir sans que le Lion serrât la griffe. Il s’établit entre eux une correspondance dans laquelle tout le soin de Chamfort fut de témoigner au Prince un grand attachement, une tendre reconnaissance de ses bontés, mais une impossibilité physique & morale de lui rester attaché autrement que par ces sentimens mêmes ; & tout le soin du Prince fut de prouver à Chamfort que ce qui pouvait le gêner dans

  1. Après avoir été Secrétaire du Conseil exécutif, il a été envoyé auprès de la Cour de Dannemarck, où il sert utilement la République depuis plus de deux ans.