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qu'il aime; c'est-là tout ce qu'il peut dire; il est condamné à renfermer sa passion au-dedans de lui-même , ou à ne la manifester que par la joie , la tristesse, le dépit , le chagrin , et d'autres mou- Ycmens semblables et passagers. L'amour n'a pas permis que son secret fut révélé ; l'homme ne le pos- sède qu'avec l'impossibilité de le divulguer, et il en perd le souvenir au moment où sa passion cesse, car ce secret n'est jamais que l'amour même. Voilà ce que les Corneille semblent n'avoir pas senti , lorsqu'ils ont mis dans la bouche de leurs amantes ces maximes d'amour , si froides et si éloignées de la nature. Dans Racine au contraire, Hermione, Roxane, ne me débitent aucune sentence, ne cherchent point à me faire comprendre qu'elles aiment par des définitions ou par des raisonne- mens. Mais je les vois tour-à-tour accabler leurs amans de reproches et s'efforcer de les attendrir , prendre la résolution de les abandonner et les chercher partout , vouloir bannir leur image de leur cœur et parler sans cesse d'eux. C'est alors que je reconnais l'amour et que je m'intéresse à ceux qui l'éprouvent, parce que je ne doute plus que cette passion ne les tyrannise. Mais quel cœur il faut avoir pour cela , et quelle irritabilité dans l'imagination , pour être frappé de tout et pour pouvoir tout exprimer ! Ce devait sans doute être une âme de feu que celle d'où sont partis les emportemens de Roxane , les l'eproches amers d'Hermione, les douces plaintes de Bérénice, et

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