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portemeiis de l'anKjur ? Pourquoi n'a-t«on re- cours le plus souvent qu'au seul Racine , quand on parle de cette passion? Et je ne dis pas cela des poètes tragiques seulement, mais encore de pres- que tous ceux qui ont écrit dans les autres cenres; cependant , ils se disent tous inspirés par la sen- sibilité et par l'amour. Ce moyen est si sur pour plaire , qu'on ne pense pas à l'impossibilité qu'il y a d'en imposer au cœur. Qu'est-il arrivé ? c'est que la plupart des poètes ont rempli leurs ouvrages de définitions de ces sentimens, et que très-peu les font reconnaître au langage qui leur est pro- pre. Ils n'en eussent pas parlé ainsi, s'ils en avaient réellement été pénétrés, car ils auraient su qu'il est certaines affections de l'àme dont les défini- tions sont aussi inutiles qu'impossibles à faire , parce qu'elles ne sont comprises de personne. L'homme qui n'aura point connu cette passion, ne vous entendra pas; et vous ne pourrez jamais la rendre que faiblement à celui qui l'aura éprou- vée. En effet , est-il rien de plus ridicule que de vouloir définir l'amour, la sensibilité, la ten- dresse ? Leurs nuances fines et imperceptibles se font sentir; mais elles échappent, lorsqu'on veut les saisir; et il en sera toujours d'elles comme du plus grand nombre des choses; on dira plutôt ce qu'elles ne sont pas que ce qu'elles sont. Un amant a t-il jamais cherché à expliquer la passion qui le tourmente? non, il en est incapable ; les idées , les mots, tout lui manque. Il pense à celle

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