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DE CHAMFORT. 211

Ne vont-ils pas dans nous verser leurs sentimens,
De leurs cœurs enflammés rapides mouvemens ?
S’emparer de leur âme et l’égaler peut-être ,
Fixer, éterniser chaque instant de son être ,
Est-il un sort plus doux, un plaisir plus touchant ?
Conserve-moi, grand dieu ! le fortuné penchant
Qui place dans moi seul mon bonheur, ma richesse ,
M’arrache aux passions d’une ardente jeunesse ,
Et trompant de mon cœur la sensibilité ,
De ses feux sans péril nourrit l’activité.
Tout n’appartient-il pas au mortel né sensible ?
Il est de l’univers possesseur invisible ;
Il va, de tous les arts, par un heureux larcin.
Dérober les trésors, les renferme en son sein :
Tout est vivant pour lui ; son âme active et pure
Existe dans chaque être et remplit la nature ,
Partout de son bonheur va saisir l’aliment ,
Le dévore et s’enfuit avec un sentiment.
Un autre don du ciel ornera votre vie.
Imagination, compagne du génie ,
Toi, dont la main brillante et prodigue de fleurs
Étend sur l’univers tes riantes couleurs!
Le génie entouré de tes heureux prestiges ,
Sous tes yeux, à ta voix enfante des prodiges.
Sur ton aile rapide il vole dans les cieux,
Embrasse d’un coup d’œil tous les temps , tous les lieux;
Des empires détruits il revoit l’origine,
Le choc de leurs destins , leur grandeur, leur ruine;
Parcourt avidement tous ces tableaux divers
Qu’aux regards des mortels les siècles ont offerts ,
La nature et ses jeux , ses travaux , ses caprices.
Miracles échappés à ses mains créatrices,

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