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idée agréable. (haut.) J’ai fait vœu d’en délivrer un tous les ans. Si nos gens avaient fait quelques esclaves aujourd’hui, qui est précisément l’anniversaire de mon mariage, je croirais que le ciel bénit ma reconnaissance.

Zayde.

Que j’aime votre libérateur, sans le connaître ! Je ne le verrai jamais… je ne le souhaite pas au moins.

Hassan.

Son image est à jamais gravée dans mon cœur. Quelle âme… Si vous aviez vu… On rachetait quelques-uns de nos compagnons ; j’étais couché à terre ; je songeais à vous et je soupirais : un chrétien s’avance et me demande la cause de mes larmes. « J’ai été arraché, lui dis-je, à une maîtresse que j’adore ; j’étais près de l’épouser, et je mourrai loin d’elle, faute de deux cents sequins. » À peine eus-je dit ces mots, des pleurs roulèrent dans ses yeux. « Tu es séparé de ce que tu aimes, dit-il ; tiens, mon ami, voilà deux cents sequins, retourne chez toi, sois heureux, et ne hais pas les chrétiens. » Je me lève avec transport ; je tombe à ses pieds, je les embrasse ; je prononce votre nom avec des sanglots ; je lui demande le sien pour lui faire remettre son argent à mon retour. « Mon ami, me dit-il en me prenant par la main, j’ignorais que tu pusses me le rendre ; j’ai cru faire une action honnête : permets qu’elle ne dégénère pas en simple prêt, et en échange d’argent. Tu ignoreras mon nom. » Je restai confondu ; et il m’accompagna jusqu’à la chaloupe, où nous nous séparâmes les larmes aux yeux.

Zayde.

Puisse le ciel le bénir à jamais ! Il sera heureux sans doute, avec une âme si sensible !