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Et moi, loin de frapper, je tremble en ce moment
que leur zèle, poussé jusqu’au soulèvement,
malgré moi ne m’arrache un ordre nécessaire.
Eh ! Qui sait, si tantôt, secondant ta prière,
ce reste de bonté, qui m’enchaîne le bras,
n’a point porté vers toi mes regrets et mes pas ;
si je n’ai point cherché, dans l’horreur qui
m’accable,
à pleurer avec toi le crime et le coupable ?
Hélas ! Il est trop vrai qu’au déclin de mes ans,
fuyant des yeux cruels, suspects, indifférens,
contraint de renfermer mon chagrin solitaire,
j’ai chéri l’intérêt que tu prends à ton frère ;
et qu’en te refusant, ma douleur aujourd’hui
goûte quelque plaisir à te parler de lui.


ZÉANGIR.


Vous l’aimez, votre cœur embrasse sa défense.
Ah ! Si vos yeux trop tard voyaient son innocence ;
si le sort vous condamne à cet affreux malheur,
avouez qu’en effet vous mourrez de douleur.


SOLIMAN.


Oui. Je mourrais, mon fils, sans toi, sans ta
tendresse,
sans les vertus qu’en toi va chérir ma vieillesse.
Je te rends grâce, ô ciel, qui, dans ta cruauté,
veux que mon malheur même adore ta bonté ;
qui, dans l’un de mes fils, prenant une victime,
de l’autre me fais voir la douleur magnanime,
oubliant les grandeurs dont il doit hériter,
pleurant au pied du trône et tremblant d’y monter !