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Tu le vois ; c’est ainsi qu’on reçoit un vainqueur ! …
on dérobe à mes yeux l’empressement flatteur
d’un peuple dont la joie honorait mon entrée.
Une barque en secret, sur la mer préparée,
aux portes du sérail me mène obscurément ;
un ordre me prescrit d’attendre le moment
qui doit m’admettre aux pieds de mon juge sévère ;
il faut que je redoute un regard de mon père,
et que l’amour d’un fils, muet à son aspect,
se cache avec terreur sous un morne respect.


ACHMET.


écartez, croyez-moi, cette sombre pensée.
N’enfoncez point les traits dont votre âme est
blessée ;
à vos dangers, au sort conformez votre cœur.
Du joug, sans murmurer, souffrez la pesanteur ;
de vos exploits surtout bannissez la mémoire ;
plus que vos ennemis, redoutez votre gloire ;
et, d’un visir jaloux confondant les desseins,
tremblez au pied d’un trône affermi par vos mains.


LE PRINCE.


Le lâche ! D’Ibrahim il occupe la place !
Un jour… dirais-tu bien que sa superbe audace,
dans mon camp, sous mes yeux, voulait dicter des
lois ?


ACHMET.


De vos ressentimens, prince, étouffez la voix.


LE PRINCE.


Qui ! Moi ! Souffrir l’injure et dévorer l’offense !
Detester sans courroux et frémir sans vengeance ! …
je le voudrais en vain ; n’attends point cet
effort…
pardonne, cher Achmet, pardonne à ce transport.