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DE CHAMFORT. IqS

deux sentimens paraissent un peu différens quant à leurs effets , ils partent de la même source et rentrent l'un dans l'autre.

Nous tremblons, nous frémissons pour un mal- heureux , parce que nous sommes touchés de son sort , et qu'il nous inspire de la tendresse et de la pitié ; ou bien la terreur s'empare de nous , parce que nous craignons pour nous mêmes ce que nous voyons arriver aux autres.

Ce double sentiment est celui qui agite le cœur le plus fortement et le plus long-temps.

L'émotion de la haine est triste et pénible; celle de l'horreur est insoutenable pour nous ; celle de la joie est trop passagère et ne nous affecte pas assez profondément. L'admiration qu'excitent en nous la vertu , la grandeur d'àme , l'héroïsme , ajoute à l'intérêt théâtral ; mais cet enthousiasme est trop rapide : au lieu que les émotions de la crainte et de la pitié agitent l'àme long-temps avant de se calmer , elles y laissent des traces profondes qui ne s'effacent qu'avec peine.

Le double intérêt de la crainte et de la pitié doit donc être l'àme de toute la tragédie : c'est là le but qu'il faut fi-apper. Pour y parvenir , la grande règle proposée par Aristote et par tous .les grands maîtres , est que le hi^ros intéressant ne soit ni tout-à-fait bon , ni tout-à-fait méchant.

S'il était tout- à-fait bon , son malheur nous indignerait ; s'il était tout-à-fait méchant , son malheur nous réjouirait.

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