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lité raisonnable et de la renfermer dans de justes bornes, comme l'ont pratiqué les poètes tragiques de la Grèce.

L’on me dira peut-être qu’il n’est pas croyable que toutes ces réflexions aient passé par l’esprit d’Homère et d’Eschyle quand ils se sont mis à composer, l’un son Iliade et l’autre ses tragédies; que ces idées paraissent postiches et venues après coup ; qu’Aristote , charmé d’avoir démêlé dans leurs ouvrages de quoi fonder le but et l’art de l’épopée et de la tragédie , a mis sur le compte de ces auteurs des choses auxquelles , selon les apparences , ils n’ont pas songé ; qu’enfin je m’efforce vainement moi-même de leur prêter des vues qu’ils n’avaient pas. Mais croira-t-on que ces grands hommes aient travaillé sans dessein ?

S’il est vrai qu’en effet l’art de la tragédie résulte de leurs ouvrages , leur refusera-t-on le mérite de l’y avoir mis ? et voudra-t-on leur ravir l’honneur d’avoir pu penser ce que nous n’avons pensé qu’après eux et par eux? Mais je veux qu’ils n’aient pas eu dans l’esprit ces réflexions aussi analysées qu’elles l’ont été depuis : on ne peut au moins nier raisonnablement qu’ils n’en aient eu le fond et la substance, et qu’ils les ont développés peu à peu, à mesure qu’ils voyaient le succès bon ou mauvais de leurs spectacles. Car alors , non contens d’étudier la nature dans leur propre cœur, ils jugeaient de ce qui devait plaire par ce qui plaisait en effet , et se conformaient au goût des