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1)E CHAMFORT. 9

Mais si toutes les passions bien représentées produisent ce plaisir délicat , il n'en est aucune qui le cause avec plus de vivacité que la terreur et la compassion. Ce sont là proprement les deux pivots de l'âme. Comme nous sommes plus sen- sibles au mal qu'au bien , nous haïssons beaucoup plus l'un que nous ïi'aimons l'autre; et nous sou- haitons moins vivement d'être heureux, que nous n'appréhendons d'être misérables ; d'où il arrive que la crainte nous est plus naturelle et nous donne des secousses plus fréquentes que toute autre passion , par le sentiment intime et expéri- mental qui nous avertit toujours que les maux assiègent de toutes parts la vie humaine.

La pitié , (|ui n'est qu'un secret repli sur nous à la vue des maux d'au; rui dont nous pouvons être également les victimes , a une liaison si étroite avec la crainte , que ces deux passions sont insé- parables dans les hommes , que le besoin mutuel oblige de vivre dans la société civile. C'est ce qui fait dire à Virgile , en parlant du bonheur ines- timable d'un heureux loisir que goûte un philo- sophe solitaire : « Il n'est point dans la nécessité » de compatir à la misère d'un vertueux indigent, » ou de porter envie au riche coupable. »

La crainte et la pitié sont les passions les plus dangereuses, cumme elles sont les plus communes: car , si l'une , et par conséquent l'autre , à cause de leur liaison , glace éternellement les hommes , il n'y a plus lieu à la fermeté d'âme nécessaire

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