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qui l’affligea le plus, attendu que ce rôle, dit-il, n’appartient qu’à un homme du peuple. On ne conçoit pas un pareil reproche à l’égard d’un ambassadeur avoué par sa cour, qui certainement ne va pas dans une cour étrangère pour espionner, mais simplement pour épier, observer, surprendre les secrets, ce qui est bien différent.

Le moment où Richelieu s’offensait d’être pris pour un espion, était précisément celui où Voltaire, son ami, faisait réciter au théâtre ces beaux vers, dans Brutus :


L’ambassadeur d’un roi m’est toujours redoutable :
Ce n’est qu’un ennemi, sous un titre honorable,
Qui vient, rempli d’orgueil ou de dextérité,
Insulter ou trahir avec impunité.


Observons que celui qui débite ces vers est un consul romain, Valérius surnommé Publicola, qui cultive le peuple, qui s’est voué au peuple, homme du peuple, si l’on veut, mais dans un sens fort différent de celui que Richelieu attachait à ce mot.

Les obstacles mis à l’entrée de l’ambassadeur de France étaient l’ouvrage du duc de Riperda, Hollandais, ambassadeur d Espagne. Richelieu résolut de se débarrasser de cet adversaire, sans compromettre de nouveau la cour de Versailles avec celle de Madrid. Tel était et tel est encore l’état des mœurs en Europe, que le talent de se battre en duel n’est pas toujours étranger à celui des négociations (quoique l’abbé de Mably n’en parle pas)