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leau le dit depuis à Louis xiv, celui chez qui tous les ordres de la société allaient prendre des leçons de vertu et de bienséance, se voyait retranché de la société. Ah ! du moins, s’il eût pressenti quelle justice on devait lui rendre ! s’il eût pu prévoir qu’un jour dans ce temple des arts !… Mais non, il meurt ; et, tandis que Paris est inondé, à l’occasion de sa mort, d’épigrammes folles et cruelles, ses amis sont forcés de cabaler pour lui obtenir un peu de terre. On la lui refuse long-temps ; on déclare sa cendre indigne de se mêler à la cendre des Harpagons et des Tartuffes dont il a vengé son pays ; et il faut qu’un corps illustre attende cent années pour apprendre à l’Europe que nous ne sommes pas tous des barbares. Ainsi fut traité par les Français l’écrivain le plus utile à la France. Malgré ses défauts, malgré les reproches qu’on fait à quelques-uns de ses dénouemens, à quelques négligences de style et à quelques expressions licencieuses, il fut avec Racine celui qui marcha le plus rapidement vers la perfection de son art. Mais Racine a été remplacé : Molière ne le fut pas ; et même, à génie égal, ne pouvait guère l’être. C’est qu’il réunit des avantages et des moyens presque toujours séparés. Homme de lettres, il connut le monde et la cour ; ornement de son siècle, il fut protégé ; philosophe, il fut comédien. Depuis sa mort, tout ce que peut faire l’esprit venant après le génie, on l’a vu exécuté : mais ni Regnard, toujours bon plaisant, toujours comique par son