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dans le bienfait, une partie matérielle dont il faut dérober l’idée à celui qui est l’objet de sa bienfaisance. Il faut, pour ainsi dire, que cette idée se perde et s’enveloppe dans le sentiment qui a produit le bienfait ; comme, entre deux amans, l’idée de la jouissance s’enveloppe et s’anoblit dans le charme de l’amour qui l’a fait naître.

— Tout bienfait, qui n’est pas cher au cœur, est odieux. C’est une relique, ou un os de mort : il faut l’en chasser ou le fouler aux pieds.

— La plupart des bienfaiteurs qui prétendent être cachés, après vous avoir fait du bien, s’enfuient comme la Galatée de Virgile : Et se cupit an te videri.

— On dit communément qu’on s’attache par ses bienfaits. C’est une bonté de la nature. Il est juste que la récompense de bien faire soit d’aimer.

— La calomnie est comme la guêpe qui vous importune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu’on ne soit sûr de la tuer, sans quoi elle revient à la charge plus furieuse que jamais.

— Les nouveaux amis que nous faisons après un certain âge, et par lesquels nous cherchons à remplacer ceux que nous avons perdus, sont à nos anciens amis ce que les yeux de verre, les dents postiches et les jambes de bois sont aux véritables yeux, aux dents naturelles et aux jambes de chair et d’os.