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ce qu’elles sont, plutôt qu’à les prendre pour ce qu’elles ne sont pas.

— Le monde endurcit le cœur à la plupart des hommes ; mais ceux qui sont moins susceptibles d’endurcissement, sont obligés de se créer une sorte d’insensibilité factice, pour n’être dupes ni des hommes, ni des femmes. Le sentiment qu’un homme honnête emporte, après s’être livré quelques jours à la société, est ordinairement pénible et triste : le seul avantage qu’il produira, c’est de faire trouver la retraite aimable.

— Les idées du public ne sauraient manquer d’être presque toujours viles et basses. Comme il ne lui revient guère que des scandales et des actions d’une indécence marquée, il teint, de ces mêmes couleurs, presque tous les faits ou les discours qui passent jusqu’à lui. Voit-il une liaison, même de la plus noble espèce, entre un grand seigneur et un homme de mérite, entre un homme en place et un particulier ? Il ne voit, dans le premier cas, qu’un protecteur et un client ; dans le second, que du manège et de l’espionnage. Souvent, dans un acte de générosité mêlé de circonstances nobles et intéressantes, il ne voit que de l’argent prêté à un homme habile par une dupe. Dans le fait qui donne de la publicité à une passion quelquefois très-intéressante d’une femme honnête et d’un homme digne d’être aimé, il ne voit que du catinisme ou du libertinage. C’est que ses jugemens sont déterminés d’avance