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catesse, sous le poids d’aucune des conventions absurdes ou malhonnêtes de la société ; qui ne fléchit jamais dans les occasions où il a intérêt de fléchir, finit infailliblement par rester sans appui, n’ayant d’autre ami qu’un être abstrait qu’on appelle la vertu, qui vous laisse mourir de faim.

— Il ne faut pas ne savoir vivre qu’avec ceux qui veulent nous apprécier : ce serait le besoin d’un amour-propre trop délicat et trop difficile à contenter ; mais il faut ne placer le fond de sa vie habituelle qu’avec ceux qui peuvent sentir ce que nous valons. Le philosophe même ne blâme point ce genre d’amour-propre.

— On dit quelquefois d’un homme qui vit seul : il n’aime pas la société. C’est souvent comme si on disait d’un homme, qu’il n’aime pas la promenade, sous prétexte qu’il ne se promène pas volontiers le soir dans la forêt de Bondy.

— Est-il bien sûr qu’un homme qui aurait une raison parfaitement droite, un sens moral parfaitement exquis, pût vivre avec quelqu’un ? Par vivre, je n’entends pas se trouver ensemble sans se battre : j’entends se plaire ensemble, s’aimer, commercer avec plaisir.

— Un homme d’esprit est perdu, s’il ne joint pas à l’esprit l’énergie de caractère. Quand on a la lanterne de Diogène, il faut avoir son bâton.

— Il n’y a personne qui ait plus d’ennemis dans le monde, qu’un homme droit, fier et sensible, disposé à laisser les personnes et les choses pour