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dessein de ridiculiser la vieillesse ? Est-ce sa faute si un jeune homme amoureux est plus intéressant qu’un vieillard ; si l’avarice est le défaut d’un âge avancé plutôt que de la jeunesse ? Peut-il changer la nature et renverser les vrais rapports des choses ? Il est l’homme de la vérité. S’il a peint des mœurs vicieuses, c’est qu’elles existent ; et quand l’esprit général de sa pièce emporte leur condamnation, il a rempli sa tâche : il est un vrai philosophe et un homme vertueux. Si le jeune Cléante, à qui son père donne sa malédiction, sort en disant : Je n’ai que faire de vos dons, a-t-on pu se méprendre à l’intention du poète ? Il eût pu sans doute représenter ce fils toujours respectueux envers un père barbare : il eût édifié davantage en associant un tyran et une victime ; mais la vérité, mais la force de la leçon que le poète veut donner aux pères avares, que devenaient-elles ? L’Harpagon placé au parterre eût pu dire à son fils : Vois le respect de ce jeune homme : quel exemple pour toi ! Voilà comme il faut être. Molière manquait son objet, et, pour donner mal-à-propos une froide leçon, peignait à faux la nature. Si le fils est blâmable, comme il l’est en effet, croit-on que son emportement, aussi bien que la conduite plus condamnable encore de la femme de Georges Dandin, soient d’un exemple bien pernicieux ? Et fera-t-on cet outrage à l’humanité, de penser que le vice n’ait besoin que de se montrer pour entraîner tous les cœurs ? Ceux que Cléante a scan-