DE CHAMFORT. 3oi
l'art va devenir un défaut pour vous. Dans un chef-d'œuvre où de grands événeméns sont re- présentés et réunis d'une manière attachante , vous serez en droit de remarquer que la nature ne place pas ainsi, l'un auprès de l'autre, plusieurs événeméns extraordinaires. Si vous continuez à vous tenir rigueur , vous demanderez pourquoi César parle français; vous serez le plus cruel en- nemi de vos plaisirs : vous aurez vu Mérope , et n'aurez pas pleuré.
Voulez-vous voir combien la nature a besoin d'être embellie ? Jetez les yeux sur la pastorale. Il est à croire que les guerres civiles d'x4uguste et d'Antoine, les troubles de l'Italie dans le siècle du Guarini et du Tasse , l'abrutissement où les paysans ont toujours été plongés en France , n'ont pas permis que la patrie des Tityres , des Amyntes, des Tyrcis , des Céladons , ait été le sé- jour du parfait bonheur. Toutefois, nous sentons que les habitans de la campagne , libres des tra- vaux trop pénibles de leur état, abandonnés à la simplicité de leurs goûts , seraient plus près du bonheur que nous ne le sommes dans nos villes, où toutes les passions exaltées au plus haut degré se livrent sans cesse , dans notre âme , un com- bat qui l'accable et qui la déchire. Le poète , traçant à notre imagination le tableau des plaisirs champêtres, fait pour nous les frais d'une agréable maison de campagne , où nous pourrons nous re- tirer quand nous serons fatigués des plaisirs
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