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contes, où la science des mœurs était, comme dans la société, revêtue d’expressions spirituellement décentes, devinrent une galerie de portraits frappans de ressemblance ; et dans ses tableaux malins, piquans et variés, le peintre habile eut l’art d’amuser surtout ses modèles. C’était à qui se ferait son ami, croyant trouver dans l’amitié un abri sûr contre les traits de la malignité. Mais Chamfort ne prenait pas le change sur la nature de cet empressement. « J’ai, disait-il, trois sortes d’amis ; mes amis qui me détestent, mes amis qui me craignent, et mes amis qui ne se soucient pas du tout de moi. » Mirabeau chercha et saisit l’occasion de se lier avec lui. Entre ces deux hommes, si différens en apparence, il s’établit promptement une véritable intimité, qui eut sa source dans le besoin que Mirabeau, dévoré de la soif de la gloire littéraire, avait du talent de Chamfort ; et dans l’amour-propre de Chamfort, que savait si bien caresser l’homme le plus habile qui fut jamais à se faire des amis de ceux qui pouvaient lui être utiles. Le caractère principal de l’un s’alliait avec ce que l’autre avait d’accessoire. La force, l’impétuosité, la sensibilité passionnée dominaient dans Mirabeau ; la finesse d’observation, la délicatesse ingénieuse, dans Chamfort.

Pendant tout le temps de cette liaison, que la mort seule de Mirabeau paraît avoir rompue, il soumettait à Chamfort non-seulement ses ouvrages, mais ses opinions, sa conduite :