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état de la province.

clarons la guerre à l’administration de la justice ; sans songer que c’est la faute de la législature si le système vicieux sous lequel elle gémit n’a pas été amélioré. Nous attaquons aussi les juges ; s’ils ne sont point aussi indépendans qu’on le voudrait, à qui la faute ? C’est nous-mêmes qui avons refusé de passer un bill pour assurer leur indépendance. Nous nous en prenons encore à la magistrature du pays ; il est bien vrai qu’elle n’est pas aussi éclairée qu’elle devrait l’être ; mais nous avons aboli la charge de Président des Sessions de Trimestre ; et il n’est pas moins vrai qui si nous y avions laissé des magistrats instruits, ils auraient pu bien souvent et au besoin éclairer leurs confrères. Non contens d’avoir déclaré la guerre aux autorité du pays, nous passons de l’autre côté de la mer, et nous attaquons le ministre colonial lui-même ; et cela sans que nous puissions expliquer les dépêches qu’on nous transmet. — Mais je ne veux point me rattacher à toutes ces choses ; je demanderai si nous ne devons pas tout appréhender du résultat de nos démarches ? Et quels sont donc nos alliés dans une aussi grande entreprise ? Nous les trouverons sans doute dans certains membres qui appartiennent au Parlement Britannique ; on nous les y désigne en effet. Reste à examiner si, d’après ce qui s’est passé, nous avons beaucoup de succès à en espérer. Le premier qu’on nous indique est M. Daniel O’Connell ; je rends hommage à ses vertus civiques, à ses talens brillans, à son brûlant amour pour sa patrie, à son dévouement sans bornes aux intérêts de ses concitoyens. Il a beaucoup entrepris et a voulu beaucoup faire pour l’Irlande, mais il n’a produit que son malheur. Nous nous adressons à un général malheureux ; et il serait plus sage d’en choisir un autre, que de choisir un général qui n’a éprouvé que des malheurs constans. C’est lui qui a procuré à l’Irlande l’Acte de Coercition qui la fait gémir. Je sais que ses démarches ont été la cause de l’influence, peut être coupable du ministre, qui a coërcé l’Irlande ; voilà les fruits des démarches de M. O’Connell. Je le demande, est-il prudent de s’adresser à lui dans les circonstances actuelles ? On nous en indique un autre également distingué par ses talens reconnus. C’est M. Joseph Hume. Quand même il serait disposé à défendre notre cause avec toute l’ardeur possible, il ne réussirait point. Nous avons un exemple frappant sous les yeux. Naguère M. Mackenzie s’était adressé à M. Hume pour soutenir auprès du Parlement les Requêtes du Haut-Canada dont il était porteur. Il a publié tous ses procédés, et parmi les documens ainsi publiés, on trouve une lettre adressée par M. Hume à M. Mackenzie pour ses constituans. Dans cette lettre il leur dit : «  le parlement britannique ne fera rien pour vous, et tous mes efforts seraient inutiles dans ce parlement. Vous avez entre les mains les moyens de vous rendre justice vous-mêmes : vous avez le contrôle des argens pour déraciner les abus. Servez vous en. » — Nous ne pouvons nous attendre à une autre réponse de sa part. Voilà notre jugement prononcé d’avance par M. Hume. Il en est un troisième, l’hon. M. Viger. C’est certainement celui en qui j’aurais le plus de confiance. Il est reconnu pour être le véritable ami de son pays ; il est doué de tous les talens nécessaires pour faire valoir notre cause, et surtout de cette prudence et de cette modération dont nous avons tant besoin et que nous semblons avoir tout-à-fait oubliées ; cependant je crains que ses efforts nous servent à peu de chose. Pour réussir il faudrait prouver en Angleterre que la constitution actuelle n’est point bonne et qu’elle doit être amendée ; et c’est ce qu’on ne réussira pas à prouver. St nous examinons la nature des diverses chartes accordées aux ci-devant colonies anglaises de l’Amérique, on les trouve toutes plus libérales et analogues aux besoins de ces colonies. D’où vient donc qu’on nous a accordé à nous, à en juger d’après nos plaintes, une faveur moins grande ? La raison en est bien simple ; et c’est qu’on a voulu nous assimiler de plus près à la constitution britannique. Et je crains bien qu’on ne vienne nous dire que nous avons été et que nous devons nous estimer heureux d’avoir une constitution aussi ressemblante à celle de l’Angleterre, et qu’on ne nous fasse des reproches de ce que nous voulons nous en éloigner. Les Anglais ont toujours été fiers et orgueilleux de leur constitution qu’ils regardent comme un chef-d’œuvre de perfections et dont ils n’ont jamais voulu reconnaître les vices. En Angleterre, on n’a jamais voulu convenir des vices de la constitution. Et pense-t-on qu’aujourd’hui on y sera plus facile sur ce sujet ? Quant à moi je ne le crois pas. Dans ces circonstances convient-il de s’adresser à un Parlement qui doit être imbu des mêmes préjugés ? qui répète sans cesse, par la bouche du ministre, et plus maintenant que jamais, que la constitution est et sera toujours sacrée et inviolable a ses yeux — qu’il veut réformer les abus mais ne rien changer d’ailleurs ? Je ne suis pas tout à fait étranger à ce qui s’est passé dans la Grande-Bretagne, je crains fort que ces circonstances soient très défavorables ; et c’est ce qui me fait regretter que ces résolutions aient été adoptées en comité. Lorsque nous entendons le ministre colonial nous dire que si nous trouvons des défauts dans la constitution, il la rendra plus analogue à la constitution de l’Angleterre, que veut-il dire ? Que fera-t-il ? lisez sa dépêche et jugez de sang-froid. Nous avons lieu de croire que quand il aura touché à une branche de la législature il voudra toucher à l’autre. En exigeant pour qualification des membres du conseil législatif qu’ils soient grands propriétaires, afin de les rendre plus indépendans, nous n’aurions rien à dire puisqu’il ne peut y avoir ici de pairie héréditaire. On retirera aussi les gens en place du conseil ; et nous dirons, c’est bon. Mais notre tour pourra venir ensuite. Que fera-t-on pour nous ? je l’ignore, à moins qu’on ne veuille nous qualifier sous le prétexte de nous rendre plus éclairés et plus indépendans. On cherchera peut-être à régler nos différends loin de cette chambre. Nous pourrons nous plaindre de la décision, mais on nous répondra : Vous avez tort ; la chambre des communes se compose de plus de 500 membres ; et la chambre d’assemblée du Bas-Canada n’en compte pas 100. La sagesse réunie d’un corps aussi nombreux doit l’emporter sur l’autre, et vous n’avez rien à dire. — Il en résultera certainement pour nous de grands inconvéniens. J’ai cru devoir dire quelles sont mes craintes : j’ignore où ces résolutions peuvent nous conduire. Si elles n’excitent point de trop grands troubles, il en résultera au moins une bien grande réaction. Il eut mieux valu, à mon avis, ne point passer ces résolutions ; elles ne peuvent que nous faire paraître sous un jour défavorable. Plus tard nous aurions pu adopter des procédés de cette nature avec moins de danger, et avec plus d’espoir de réussir. Je souhaite sincèrement que mes prévisions ne s’accomplissent point ; je souhaite me tromper. Quoique je diffère d’opinion avec la majorité de cette chambre, si elle réussit à procurer l’avantage réel et permanent du pays par les moyens qu’elle emploie aujourd’hui, je me réjouirai de ses succès avec les hommes éclairés qui auront formé la majorité. Je regretterai alors de n’avoir pas eu comme eux assez d’énergie pour braver le péril et entreprendre une chose que je regardais comme dangereuse, ou du moins très incertaine quant à ses résultats. Si au contraire mes craintes se réalisent, si la chambre succombe dans son entreprise, je partagerai avec les autres les maux qui pourront peser sur ma patrie. Je dirai : ce sont sans doute les meilleures intentions qui ont guidé la majorité de la chambre, et on ne me verra point m’unir avec ses ennemis pour lui reprocher d’avoir eu des vues perverses. Voilà ce qui fera ma consolation ; telles sont les raisons qui me forcent à ne