Page:Chambre d'assemblée du Bas-Canada, vendredi, 21 février 1834.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
état de la province.

une telle injustice. En cette occasion la justice veut que cette adresse soit lue dans les deux langues.

[M. Stuart interrompt M. Gugy, pour lui dire qu’elle doit être lue dans les deux langues paragraphe par paragraphe, et que cela doit suffire.]

M. Gugy continue : Puisque j’ai la parole, je prendrai l’occasion de faire en peu de mots quelques réflexions qu’exige la circonstance. il y a dans cette adresse une référence à la 91e résolution, je crois, sur laquelle je me trouve en devoir d’appeler l’attention de mes concitoyens. Il se peut qu’elle ait été passée par inadvertance. C’est cette résolution par laquelle on autorise les Comités qui seront nommés a Québec et à Montréal à dépenser toutes sommes d’argent qu’ils jugeront à propos, et pour lesquelles on leur promet de les indemniser sur les deniers publics.

M. Rodier a observé qu’il n’en est point parlé dans l’adresse.

M. Gugy: J’en suis bien aise. Cela fait connaître du moins quelle part a dans cette mesure le père putatif des résolutions, qui nous a dit qu’elles se trouvent toutes dans l’adresse. Quelle peut être la conséquence de cette résolution dont j’ai parlé, et quel en est le but ? N’est-ce pas prodiguer les revenus de cette Province ? inviter les capitalistes à prêter leurs capitaux pour effectuer les desseins de cette chambre ? mettre le pays entre les mains des étrangers ? l’ouvrir aux États-Unis ou à la France, s’ils ont intérêt à détruire notre alliance avec l’Angleterre ? N’est-ce pas enfin promettre de salarier les rebelles ? L’autocrate Russe pourra, s’il le trouve bon, nous aider contre la Mère-Patrie. Voilà quelle peut être la conséquence de cette résolution, et voilà comme on offre les revenus publics. Ce qui me surprend, c’est que M. Bedard ignore que cette résolution ne se trouve point dans l’adresse : il en est probablement comme de la pantoufle du Roi que le cuisinier avait tellement défigurée, que le Roi lui-même ne put la reconnaître. J’envie vraiment la grande capacité de ces personnes, qui font tous en courant, tellement qu’elles ne peuvent pas dire ce qu’elles ont fait. Je voudrais que tout ce qui a rapport à ce pays fût comme en Angleterre, afin que quelque ministre sage et éclairé pût adopter quelque mesure efficace pour rétablir le calme et la tranquillité dans ce pays. Mais qu’y dira-t-on d’une résolution qui ouvre cette colonie aux étrangers ? qui invite les masses à renverser la constitution à prix d’argent ? qui met, pour ainsi dire, la hache au pied de l’arbre ? Pour moi, elle me parait insensée, si non séditieuse. Ceux qui sont en possession de ces faits, n’auront donc pas le temps d’y appeler l’attention ? Si l’on veut procéder avec tant de précipitation, à quoi bon les délibérations et les règles parlementaires ? pourquoi ne pas dire tout de suite que toute mesure sera présentée et décidée dans un instant ? On paraîtrait vouloir faire passer cette adresse précipitamment, pour rétracter peut-être comme par surprise quelque chose qu’on regrette et qu’on rougit de voir dans les résolutions. Le législateur qui s’est mépris, n’a-t-il pas droit de revenir sur ses pas ? Il peut décider d’une façon, et après 24 heures de réflexion il peut venir dire : j’ai été en erreur ; je me suis laissé entraîner par l’éloquence d’un tel ; le respect dû à un autre m’en a imposé ; j’ai eu tort et je vois que j’ai voté d’une manière contraire au bien de mon pays ; aujourd’hui je change d’opinion, et je vote en un sens contraire. C’est ce que les règles parlementaires ont en vue, afin qu’une mesure ne se décide point subitement et ne soit point l’impression du moment. S’il n’en était pas ainsi, les sessions ne seraient pas aussi longues qu’elles le sont. Un bill de subsides se ferait dans une veillée ; tout s’arrangerait sans débats : il n’y aurait qu’à diviser. Une mesure serait proposée ; ce serait un bill ; l’instant d’après, une loi. Les règles parlementaires ont eu quelque autre chose en vue : elles ont voulu que les déterminations des corps délibératifs dépendissent de la réflexion. Dans cette occasion je ne crois pas devoir changer d’avis : j’ai voté contre les résolutions, et je voterai aussi contre l’adresse. J’ose croire que les membres de bonne foi, qui ont voulu y réfléchir, voteront avec moi, sans s’occuper qu’on leur dise qu’ils sont inconsistans ou non. En effet, quel est l’homme qui peut dire ? je ne penserai pas autrement, je ne me trompe pas, j’aurai toujours raison. Mais quand la division devrait être la même, il n’en est pas moins vrai que c’est notre droit de lire l’adresse à tête reposée, et pour ceux qui ne comprennent que l’anglais, d’en avoir la lecture dans cette langue. Si des circonstances malheureuses appelaient un homme à défendre avec énergie ses concitoyens d’origine Française, j’espère que je serais cet homme. Comme je l’ai déjà dit, si dans une assemblée Anglaise on fesait la même injustice que l’on prétend faire ici, je réclamerais également. Comme ennemi des distinctions nationales, je demande donc que la lecture de l’adresse soit faite en Anglais pour M. Anderson. Que le reproche que M. Bourdages fait à des membres d’avoir voulu entraver cette mesure, retombe sur ceux qui l’ont mérité : pour moi je m’en tiens quitte. Faut-il aussi que de leur côté ceux qui laissent leurs familles nous précipitent aveuglément dans une telle mesure, et nous livrent, pieds et mains liés, parce qu’ils ne veulent pas manquer le stage de demain ?

M. Stuart. Quant aux distinctions nationales, personne n’y est plus étranger que moi. Pourquoi la lecture de l’adresse, faite dans les deux langues paragraphe par paragraphe, ne suffirait-elle pas ? Quelle objection peut-on faire à cela ? Pour moi, ce n’est point ce que je demande, c’est un moment de délai.

M. Bedard : Je n’ai pas envie de répondre aux personnalités et aux s——— de l’honorable membre pour le comté de Sherbrooke. S’il est quelqu’un qui fomente les distinctions natio-