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état de la province.

réglerai, je législaterai pour vous, y a tout perdu : c’est le contraire, où le principe démocratique a prévalu. Quel espoir d’agrandissement n’ont pas les États voisins ? Dans un temps où des gouvernemens militaires couvrent l’Europe de sang, les États-Unis, sans alarmes, sans trouble, ouvrent leurs ports comme l’asile du malheur, ou viennent se froisser et se briser toutes les opinions contre des opinions bien meilleures, et bien plus profondément gravées dans les cœurs. C’est pourquoi ils ne craignent pas les sentimens des généraux de Bonaparte, qui s’y sont réfugiés. Toutes les opinions, tous les préjugés de la vieille Europe viennent tomber auprès du républicanisme de l’Union. On n’y a pas besoin d’armée, ni de censeur de la Presse. Chacun peut tout dire, tout écrire, et l’intérêt de tous assure qu’il n’y a pas de danger que des erreurs y prennent racine, et s’étendent au point de devenir contagieuses. L’esprit humain y a tous les moyens de s’y éclairer et perfectionner ; et néanmoins, sous prétexte d’améliorations, on n’y peut rien bouleverser. C’est donc dans l’histoire des autres colonies anglaises, qu’il faut chercher ce qui nous convient. On demandera d’où vient la différence de notre régime avec le leur. Cela est dû à des circonstances particulières. Le peuple de ce pays, étant sous la foi des traités, aucune autorité n’a pu changer des droits qui lui étaient assurés. Mais ce sont des ambitieux, des factieux, des méchans, tels que ceux qui, guidés par la passion, nous disent aujourd’hui qu’ils nous imposeront d’autres lois, sans examiner si elles nous conviennent ; ce sont eux qui ont été les auteurs de cet état de choses. Les intrigues des marchands étrangers, les préventions suscitées contre nous, ont été les moyens mis en œuvre pour capter l’assentiment des Bureaux Coloniaux, pour bouleverser les lois du pays, et pour ôter à la législature le pouvoir de décider sur ce qui lui convient. À quoi bon ce simulacre de législature ? Ce n’est donc qu’un jeu qu’on a fait en Angleterre, quand on a reconnu que nous seuls devions juger de nos besoins, et les faire connaître ; si d’un autre côté quelques individus dans le conseil législatif, concourant dans quelques lois absolument nécessaires pour ne point s’exposer à une haine trop forte, intriguent ensuite pour les faire rejeter ailleurs. À quoi bon une telle législature, si sans cesse nous sommes entravés ? Je ne connais pas de combinaison possible qui, tant que l’exécutif présidera à la formation du conseil, puisse lui permettre de faire le bien. On a voulu chercher quelques palliatifs, en y appellant de grands propriétaires ; mais souvent ceux-ci sont des dissipateurs, qui consument leur patrimoine, et perdent bientôt leur indépendance dans une situation, où les gouverneurs, pouvant toujours puiser dans les coffres pour acheter, non leur conscience, car ils n’en ont pas, mais leurs opinions, les achèteront inévitablement. On peut voir par le rapport des débats que quelques-uns des plus frénétiques, qui ont pris part aux discussions, sont de grands propriétaires, mais s’ils ont été choisis, c’est que leur frénésie était bien connue. Il y a des gens qui croiraient ne se pas distinguer, s’ils avaient les sentimens communs des hommes, et s’ils ne montraient leur goût pour ce qu’on méprise : ce sont ces gens qui conseillent l’administration. Quand on voit qu’on ne peut pas citer un jour où la constitution a produit du contentement, doit-on douter qu’il faille des changemens ? Qu’on demande au peuple de ce pays, s’il est content. Qu’on se demande si, sous un autre ordre de choses, le Conseil constitué de manière à avoir autant de bonne foi que de lumières, ne produirait pas le bien du pays ? parcequ’en effet, partout où il y a des lumières, il y a de l’amour pour la liberté. Réunis par le système électif, ils seraient les apôtres des droits de l’homme ; leurs sentimens seraient conformes à ceux du peuple ; et l’expérience en bien des choses, qu’ils ont acquise au delà de l’océan, ferait marcher graduellement les améliorations dans cette colonie. Ces hommes si fougueux, et si acharnés contre les droits du peuple, ne voyant pas d’autre théâtre que celui qu’il leur offrirait, et rencontrant des compétiteurs dans la Chambre d’Assemblée, auraient des motifs d’agir d’après leur pleine conviction et de concourir dans tout ce qui serait bon ; tandis qu’aujourd’hui ils ont des motifs de semer la discorde et la dissention. Et cela est d’autant plus vrai, qu’étant dans un pays nouveau, nous recevons des gouverneurs qui n’ont que de deux rôles l’un à jouer : s’ils ont des talens et des lumières, l’orgueil des Européens qui les environnent, fiers de cette qualité, comme s’ils emportaient toutes les lumières et tous les progrès de la nation qu’ils quittent, les corrompt, bientôt. Quelle en est la récompense ? Portés dans les conseils, ces gens ont des intérêts contraires à ceux du peuple, et dès lors le gouvernement devient difficile, et désavantageux pour le peuple. Si au contraire il se trouve un gouverneur ignorant et qui demeure dans l’inaction, bientôt le peuple le méprise, et se demande s’il n’est ici que pour s’engraisser. Il ne voit dans les emplois qu’un frelon indolent, qui dévore le miel, et n’est d’aucune utilité. Il est donc clair que le système, qui donne le plus de patronage est le plus contraire à la permanence du régime colonial. Nous l’avouons, c’était un malheur de circonstances que celui de la différence d’origine, auquel il n’y avait pas de remède. Néanmoins on a fait ce qu’on a pu pour le faire disparaître,