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état de la province.

des requêtes et sollicitèrent des signatures, pour demander à sortir de cet état funeste. Si l’on n’a pas lu l’histoire de ces temps, l’on ne peut pas s’imaginer à quels dangers ils s’exposaient. Le conseil réunissait alors tous les pouvoirs, législatif, judiciaire, et administratif. Quand il fut question de ces requêtes, c’était quelque temps après l’indépendance des États-Unis. Dès lors commença ce temps de calomnies et d’injures, qui a continué jusqu’à aujourd’hui, et c’est alors que ceux qui voulurent le bien de cette colonie, furent traités de mécontens, d’ambitieux, de révolutionnaires, comme on l’est de nos jours, sans qu’on se donne la peine de citer des faits. Ceux qui signèrent ces requêtes, furent accusés d’avoir favorisé la révolution des Américains, quand ceux-mêmes, qui portaient ces accusations, s’étaient sauvés aux États-Unis, et avaient ensuite reçu des places dans cette Province, comme il est arrivé de nos jours. L’amour du désordre dans le conseil avait conservé une ordonnance odieuse, tyrannique, en vertu de laquelle on distribuait des soldats chez les citoyens. Les juges en personne menaçaient tels et tels individus de se bien venger, s’ils demandaient le système électif ; et ils disaient qu’ils renouvelleraient cet usage de distribuer ainsi les soldats. L’année suivante cette ordonnance fut rétablie, et malgré que nous ayons voulu depuis effacer du livre de nos statuts cette loi inique, le conseil n’a jamais voulu y consentir, peut-être parcequ’il a espéré pouvoir la mettre en force quelque jour. C’est probablement une lettre morte, parcequ’en effet dans la guerre avec les États-Unis on a tenté en vain de vouloir la mettre en opération, et que devant les tribunaux des avocats en ont si bien fait sentir les inconvéniens, que le gouvernement y a renoncé. Il y a donc lieu de croire qu’elle ne sera plus jamais mise en force. Toutefois au temps dont j’ai parlé, on annonça qu’on la renouvellerait, et on le fit. Des soldats furent distribués dans les familles, et leur insolence y a causé plus de trouble, de désordre, et de chagrins qu’il n’y en ait jamais eu dans ce pays. Néanmoins ces citoyens, qui étaient ainsi examinés, et exposés à être traînés devant les tribunaux, n’ont pas craint d’arracher la toute-puissance de l’autocratie qui régnait alors. Jusque là il n’y a donc pas de paix et de bonheur dans le pays, mais de l’oppression et de l’arbitraire. On a cru que quelque chose de semblable au régime colonial des États de l’Amérique, convenait au Canada. Quel a été le jour qu’on puisse dire avoir été une époque de contentement ? Quel est le gouverneur, qui n’a pas plus mérité de reproches et de haine, que d’estime et d’affection ? Est-il possible que le hasard ou que quelque divinité maligne qui préside à ce pays, aient voulu qu’on ne nous ait donné, pour nous gouverner, que des hommes ignorans et corrompus ? Il faut que cette circonstance, qui remonte si haut, se trouve dans la nature même de nos institutions. Je demande si les mêmes plaintes n’ont pas toujours été répétées. Parcourons les diverses époques, entre lesquelles on peut partager les variations, qu’a souffertes la constitution. Depuis 1792 jusqu’en 1810, les canadiens furent indifférens et peu éclairés sur leurs droits constitutionnels ; ils ont vu les délibérations de l’assemblée influencée par les administrations, l’assemblée elle-même composée exclusivement de la population d’origine anglaise, qui parce qu’elle avait eu l’impudence de dire qu’elle seule était sage et éclairée, et à force de le répéter, avait fini par se faire croire, et engagé les canadiens à lui remettre le soin de leurs affaires. Tout alors fut fait pour et par l’administration. Eux qui reprochent l’ignorance aux canadiens de ce temps, n’en ont-ils pas montré d’avantage ? Cette époque de la législature n’est-elle pas la plus pauvre ? Quel acte important a été passé pour l’avantage des canadiens ? Que n’a-t-on pas fait plutôt pour augmenter le pouvoir et le patronage ? C’est aussi vers ce temps que ceux qui, par leur partialité et leur animosité contre les droits du peuple, avaient fait révolter l’Amérique, se sont réfugiés en foule dans ce pays, et en ont usurpé les places. Depuis M. Smith, et toute sa famille, attentive à torturer les lois du pays et à se revêtir de la toute-puissance, ces étrangers ont prévalu et régné sur tout sans contrainte. Pour s’attacher l’Exécutif, et se mettre à l’abri de son autorité, ils ont consenti à passer des actes de revenus perpétuels, quand ils avaient sous les yeux l’exemple des autres colonies, qui ont eu la sagesse de n’en créer que de temporaires : ici au contraire toutes les appropriations ont été permanentes ; et la chambre lutte encore en vain pour reconquérir ses droits. Il semble que la liberté qu’ils aiment tant en Angleterre, n’ait plus d’attrait pour eux ici, et qu’elle ne leur paraisse plus qu’une prostituée, qu’ils doivent rejeter, s’il faut qu’elle soit amie de nous, comme elle l’est d’eux. Ils ont donné des pouvoirs sans limites aux cours et aux juges qui les président ; ils leur ont donné des droits énormes, qui répugnent à l’état du pays, et qui ont été le sujet de plaintes graves. Tous les membres diront qu’ils ont en vain demandé que la justice fût rendue librement, et sans qu’elle fut contrôlée par quelque autre autorité. Poussera-t-on aujourd’hui la partialité jusqu’à n’oser demander la réforme de ces abus ? Est-ce que les juges, s’ils n’eussent eu ce pouvoir, auraient fait ces règles de pratique si contraires aux lois du pays, où ils semblent avoir pris à tâche de se grandir eux-mêmes, d’enchainer le barreau et de l’humilier ? Eh bien ! la source des mêmes abus se trouve encore dans la circonstance, qu’un gouverneur, appuyé par une branche de la Législature, peut toujours faire le bien de ses favoris, d’hommes qui eux-mêmes peuvent faire la fortune des gouverneurs. Il me semble qu’il n’y a rien de plus bas que la noblesse anglaise, qui nous vient dans ce pays, tant elle aime les places, tant elle aime l’argent. Quand je pense qu’un duc de Richmond, qui avait commandé l’Irlande en qualité de vice-roi, un sentiment d’orgueil national l’environnait tous les jours, au milieu de Dublin, de la pompe et de l’éclat de la Royauté, et que cet homme, après avoir abandonné, ce théâtre bril-