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état de la province.

que la première magistrature de l’état recouvre le respect qu’elle a perdu, et que l’honneur, la fortune, la liberté et l’existence du peuple soient mises en sûreté, ou se résoudre à voir tomber l’un au dernier degré d’avilissement, et l’autre s’emporter à des excès. Oui, je le crois, nous en sommes venus à ce jour. Il y a de la honte, de l’infamie à ceux qui conservent des commissions sous un gouvernement, qui les met en opposition avec les lois, et en lutte avec le peuple et ses représentans. Quelques-uns semblent entrer dans cette mesure avec trop d’alarmes, et s’imaginer qu’il faut des nerfs de fer pour se soutenir dans cette époque importante. Ce n’est pas un état nouveau pour la Province que cet abus du pouvoir ; c’est une habitude à laquelle on est presque formé. Depuis la cession du pays jusqu’en 1792, des gouverneurs Militaires, tels que le Général Murray, ont pu maintenir contre les Canadiens l’orgueil et les jalousies de la partie de la petite population anglaise, de gens qui se disaient les conquérans du Pays, et qui ni étaient que les vivandiers de l’armée ; qui se fesaient grands eux-mêmes et qui n’étaient que petits dans l’esprit des autres. Dès lors a été mis en opération le système d’exclusion et de distinction nationale. Dans ces temps de malheur et d’ignorance, où l’on appelait à des guerres religieuses les sectes protestantes et catholiques ; dans ces temps, dis-je, on prétendit faire régner dans les Canadas ces lois de sang, et appeler sur les catholiques Canadiens la même persécution qui pesait sur les catholiques d’Angleterre. Si ce complot inique n’eut pas tout son succès, il en eut au moins de grands. C’est à cette époque qu’on disait que les Canadiens ne pouvaient pas être jurés etc., à cause de leur catholicité ; et que cette exclusion a été long-temps mise en pratique. On n’a choisi que des shérifs protestans, qui eux-mêmes ne prenaient que des jurés protestans : et les juges ont toléré ces abus, malgré que ce fût une violation des lois. Et quand il a fallu établir un nouvel ordre de choses, le préjugé était tellement enraciné, que dernièrement encore le shériff de Montréal, pour complaire à l’exécutif, en violation de la loi, et pour sauver des criminels, qui tôt ou tard auront leur juste punition, a fait un de ces choix illégaux et partiaux de jurés, et oublié son devoir et son serment. C’est à l’époque, dont j’ai parlé, qu’a commencé ce système de distinction dans les places, dans les honneurs, dans les privilèges, et qu’il a été perpétué jusqu’à nos jours. Sous ces circonstances, des démarches furent prises alors, des requêtes furent dressées et présentées avec fermeté, avec assurance, avec espoir, par des hommes, qui n’avaient pas l’inviolabilité de rang et de caractère qu’ont des représentans du peuple, qui voyant aujourd’hui des maux plus grands, n’osent demander ni des remèdes ni des réformes. S’ils disent que tout est bon, tout est bien, ils recevront, sans doute, des récompenses, mais personne ne leur enviera cet avantage. À cette époque, c’était des hommes qui réclamaient leurs droits comme hommes, et comme sujets britanniques. On reconnut qu’il y avait des principes conformes au droit des gens, qu’on ne pouvait violer ; qu’il y avait dans le Canada une population, qui avait des lois, une religion une langue, des mœurs et des institutions qui devaient lui être conservées ; on fit des représentations en Angleterre, appuyées par le peuple ; et dans un temps, où les Canadiens n’étaient guères instruits du droit public et politique, au milieu du mouvement et de l’agitation de la population des États-Unis pour résister à l’oppression de la métropole, on ne craignit pas de demander des réformes, et on les obtint. La suite de ces démarches fut l’acte de Québec, tout vicieux, tout imparfait qu’il était, et qui a été le sujet de tant de plaintes, mais qui fut donné alors, parce qu’il parut conforme au vœu général. Tous ceux qui avaient été employés par l’ancien gouvernement s’étaient retirés, avaient disparu avec sa chute, et il n’était resté qu’une population agricole, sans éducation, tremblants et muette de terreur par suite des évènemens dont elle avait été témoin, et ignorante des droits de l’homme en société. La seule partie de la population, qui avait des lumières et des idées de droit public, représenta la nécessité d’avoir un conseil législatif. Cet acte rencontra l’assentiment et fut reçu avec avidité d’un corps, qui pouvait mieux en juger. Le peuple n’avait point alors d’existence politique ; mais le clergé, à qui cet acte conservait tous ses droits, ses privilèges, et sa prépondérance, avantages qui lui sont bien mieux conservés par la confiance, la persuasion religieuse et la conviction des peuples, parce que l’histoire prouve combien folles et vaines sont les persécutions religieuses ; le clergé, dis-je, accueillit cet acte avec empressement, s’attacha à la cause du gouvernement, et négligeant celle du peuple, le trouva bon, parcequ’il lui était avantageux. Néanmoins quelles furent les premières démarches de l’administration ? L’autorité des juges devint exorbitante, et le pouvoir législatif se trouva dans les tribunaux. On énonça la maxime que les lois d’un autre pays devaient être données aux Canadiens, parcequ’elles couvraient l’ignorance et la mauvaise foi des juges. Si quelqu’un croyait avoir droit de se plaindre d’un jugement qui le mettait hors de cour, on lui disait : c’est un manque de forme, c’est par une règle de pratique que vous ne connaissez pas. C’est à cette époque d’injustice odieuse, que la demande d’une réforme ne pouvait aisément se faire, parcequ’il n’y avait pas de branche populaire, de point de ralliement pour les hommes éclairés et bienveillans, qui se formaient à l’étude de la politique. Il se trouva néanmoins des individus, dévoués à la cause de leur pays, qui demandèrent des changemens, et des changemens bien plus importans que ceux que nous demandons aujourd’hui ; qui fesaient trembler ceux qui avaient le pouvoir en main, et qui devaient faire trembler des conseillers, qui gouvernaient arbitrairement, et dont la réforme devait amener la ruine. C’est sous ce régime, où l’on entassait dans des pontons, dans des vaisseaux pourris, ceux qui avaient osé se plaindre des gens en pouvoir, qu’on allait même jusqu’à leur couper les oreilles ; c’est dans ce temps que des hommes zélés et intrépides préparèrent