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état de la province.

qui sont imprimées, soient soumises aujourd’hui au comité, afin qu’il ait quelque chose devant lui. Ou se rappelle pour quel objet l’appel nominal avait été demandé pour le quinze ; et voici qu’un membre, à qui ces résolutions ne plaisent pas probablement, demande à les remettre à une quinzaine. Que deviendra alors l’appel nominal ? On ne doit pas résister au moins à laisser mettre les résolutions devant le comité. Assurément l’hon. membre pour Sherbrooke n’est pas sérieux, quand il fait cette motion. Il nous parle du sentier de l’honneur et de la justice ; qui n’est disposé à y marcher comme lui ? Ce sont de ces grands mots, dont on se sert pour jeter de la poudre aux yeux ; quand on manque d’argumens, on y a recours. On devrait pourtant sentir combien il est important, essentiel et nécessaire de soumettre aujourd’hui ces résolutions. Mais il faut du délai, dit-on, pour les examiner : le long délai demandé, décèle assez bien le but. On n’aurait pas osé proposer de les renvoyer au 1er août ; on a demandé un délai en apparence moins choquant : c’est se jouer de nous, et tenter de donner à nos procédés une apparence de ridicule. Quoi qu’on en dise, la chambre est disposée à suivre les sentiers de l’honneur et de la justice : nous y marcherons, et nous verrons qui ira le plus loin.

M. Bedard : L’hon. membre pour le comté de Sherbrooke devait supposer que ce n’est l’intention d’aucun membre de faire passer ces résolutions dès ce soir et comme par surprise. Elles doivent être méditées et adoptées par chaque membre sur sa responsabilité. L’intérêt de chacun de nous, comme de notre pays, exige que nous puissions décider d’après notre propre conviction. J’espère donc que l’hon. membre retirera sa motion, afin qu’on ne dise pas que la chambre a siégé deux jours sur cette question, sans faire un seul pas. Pour moi je ne ferai que soumettre ces résolutions, et je consentirai à donner quelque délai, pourvu que ce soit un délai raisonnable.

M. Duval : Il est singulier qu’on regarde le fait d’un membre qui demande quelques jours de délai, comme une opposition formelle à des résolutions sur l’état de la province, qu’il voudrait, mais qu’il n’ose, dit-on, remettre au premier d’août. Je crois qu’il n’y a personne qui désire les faire perdre par des délais. Au contraire, suivant moi, chacun est et doit être empressé de les décider : l’intérêt du pays l’exige même. Si ces résolutions sont conformes aux sentimens de la majorité du peuple, il est de son intérêt, il est de l’intérêt du Gouvernement Impérial qu’elles lui soient soumises au plutôt. Mais il ne faut pas que ceux qui les ont rédigées, nous crient d’avance, nous seuls avons raison, nous seuls savons bien juger des choses, nous seuls aimons notre pays ; et tous ceux qui ne pensent pas comme nous ont tort et ne sont pas des patriotes. Quoique ces résolutions en somme ne rencontrent pas mon assentiment, si c’est l’opinion de cette chambre qu’elles soient votées, et envoyées en Angleterre ; si l’on donne des raisons satisfaisantes pour cela, qu’elles le soient, je le veux. Mais qu’est-il besoin à l’hon. Doyen de venir nous dire que ceux qui n’ont pas d’argumens, ont recours à de grands mots ? Pour ma part, je lui conseillerais, à lui, de se servir de ce petit moyen. Je n’ai pas entendu un argument, une raison de sa part. Il vous dit, par exemple, que c’est se déclarer contre les résolutions, que de demander du délai pour pouvoir les lire. Si je voulais avoir recours à des argumens aussi peu candides ; si je voulais prendre les armes du Doyen et les tourner contre lui ; si je voulais faire sur sa conduite des jugemens aussi légers qu’il en fait sur la conduite des autres, je lui dirais : si vous imputez aux autres de vouloir rejeter ces résolutions, parce qu’ils demandent du délai, ne pourrait-on pas vous dire à vous, qui êtes le Doyen de cette chambre, et qui vous faites honneur de l’être, (et c’est une gloire), maintenant que vous désirez tout hâter, tout précipiter et quand le moteur de ces résolutions est lui-même coupable de négligence pour ne les avoir pas soumises plutôt ; ne pourrait-on pas vous dire, qu’à en juger par vos paroles, vous vous montrez déterminé, décidé d’avance à tout approuver, à tout soutenir, à tout admettre dans ces résolutions, quelque argumens et quelque raisons, qui vous soient donnés ? Voilà ce qu’on pourrait lui dire, en se servant de ses argumens. Pour moi, je suis d’avis qu’on devrait remettre jusqu’à jeudi. Si un client remettait à M. Bedard un papier important, sur lequel il lui demanderait son avis ; qu’il me dise, si, comme un homme qui connaîtra sa profession, qui aura étudié les lois, et qui n’aura pas fait de son office une boutique d’artisan, il ne demandera pas au moins vingt-quatre heures de réflexion ? Je ne prétends pas dire que ces résolutions soient mal fondées. Chacun aura à dire sur sa propre responsabilité, s’il veut le trouble ou la paix dans le pays. Nous sommes appelés, il est vrai, à résister, à nous opposer à des mesures violentes contre le pays. L’hon. membre nous dit : j’ai des résolutions chez l’imprimeur, j’en ai dans ma poche, et dans mon grenier ; mais quel est le but ? que contiennent-elles ? qui le sait ? un membre, ami de son pays, est-il déraisonnable à déclarer qu’il veut au moins quelques heures pour les lire ? Si vous lui refusez cela, vous aurez beau I dire que vous êtes les seuls patriotes, vous verrez si l’on vous croit. Qu’on sache bien que ce n’est pas pour faire perdre ces résolutions, que j’appuie ceux qui demandent pour les affaires publiques un délai que l’on demande même pour les affaires privées. Si aujourd’hui je ne suis pas prêt, c’est la faute de ceux mêmes qui ont demandé l’appel nominal, et qui ne sont pas prêts à nous dire ce qu’ils veulent.

Mr. Papineau. La seule question qui s’est élevée n’a rapport qu’a des délais de la part des membres qui résident ici ; auxquels la prolongation de la session ne peut être incommode ; qui donneront peut-être pour raison que leurs intérêts privés, que leurs occupations en cour ne leur permettent pas de travailler à l’intérêt public : tandis que ceux des membres qui sont de parties éloignées de la province, et sans cesse occupés ici, devront attendre que les premiers aient terminé leurs propres affaires, et soient enfin prêts. Dans l’état actuel du pays, sous des circonstances aussi urgentes que celles où nous sommes, je ne crois pas que, quand la considération de nos maux est proposée, si l’on nous traite avec justice, qu’il y ait nécessité à de bien longs délais affectés, à des délais de huit jours par exemple ; et qu’on puisse nous dire qu’on ne comprend pas encore le sujet et le but de ces résolutions, lorsqu’elles sont fondées sur des extraits de nos journaux, sur des documens publics qu’on a lus et relus, et qui forment la suite de démarches auxquelles on a dû prendre part, si l’on n’a pas été indifférent pour ce pays, qu’on dit être le sien, qu’on aime, où l’on dit qu’on a des intérêts ; et que cependant on trahirait hautement, si l’on ne disait pas qu’il est dans un état où tous les jours chacune de nos démarches pour le bien public, nous attire de nouvelles persécutions, en autant que l’administration ose se les permettre ; dans un état de gêne et de souffrance, quand nous sommes entrés dans une session malheureusement trop continuée, au milieu des injures et des outrages reçus jusque des derniers subalternes de l’exécutif, qui refusent de reconnaître nos privilèges et de s’y soumettre ; par le secrétaire civil, qui vient opposer ici son mince personnel et l’un des subalternes, qui refusent de nous remettre des papiers et documens du gouvernement, relatifs à quoi ? non aux prérogatives de la couronne, mais à des mesures qui nous concernent particulièrement, où l’exécutif est notre inférieur ; et où néanmoins il maintient des employés, dont l’un s’est permis l’acte bas et honteux d’effacer quelques lignes des régîtres, et que c’est peut-être pour cette raison ou d’autres semblables qu’on n’ose pas nous le soumettre cette année. M. le Président, c’est sous ces considérations qu’on demande des délais ! L’intérêt, l’attente du pays, les besoins du gouvernement demandent que nous ne nous ne jouions pas dans cette occasion, et que nous entrions aussitôt que possible, sur ce sujet. L’ensemble des résolutions tend à dire que le peuple est opprimé et a lieu de se plaindre ; quelques individus croient que tout est fait pour eux, et qu’ils ne doivent rencontrer de représentations nulle part, si ce n’est pour les mépriser ; etc. — et comme elles sont des extraits des journaux, de diverses requêtes, et de documens publics, elles doivent être familières à tous les membres. Mais y a-t-il quelqu’un qui hésitera à voter la première résolution, qui défend la loyauté des Canadiens, qui a été si injustement attaquée ? Les Canadiens, sous ce rapport, ont été accusés ; et ceux mêmes qui pendant la dernière guerre fuyaient, et se rangeaient de l’autre côté, sont aujourd’hui dans le conseil législatif, parce qu’il ont su manier le bâton, en temps de paix, et refusé de porter le mousquet en temps de guerre, et que depuis ils ont présidé au massacre des citoyens dans les rues de Montréal. Voilà des titres à la faveur. Et quand on demande à voter une résolution qui soutient la loyauté canadienne, on hésitera ! on ne sera pas prêt ! il semblera qu’on était hors du pays, au temps qu’il se défendait, peut-être même parmi ceux qui l’attaquaient ! il semblera qu’on n’a pas eu connaissance que les canadiens out combattu ! Je ne m’oppose pas à accorder quelques momens de délai, mais qu’on sache que, si l’on en accorde, on ne craint pas du moins d’aborder la question, et qu’il ne faut pas une heure, si l’on veut laisser là ses causes et ses plaisirs. Mais si l’on veut faire passer les intérêts publics après les intérêts privés, après les plaisirs, ce ne sera pas assez de deux jours de délai ; il en faudra bien huit. Je crois que l’importance du sujet est telle qu’il faut remettre à demain, au plus tard, et de siéger de jour en jour ; qu’il n’est pas juste d’accorder un plus long délai, et que les 24 heures d’intervalle ne doivent être consacrées qu’à cet objet. Nous ne sommes pas ici pour notre plaisir et pour plaider des causes, quand surtout on aspire avec tant d’empressement à cette place, et que quelquefois on en est déchu avec tant de chagrin. Si toutefois demain l’on n’était pas prêt, on pourrait demander de nouveaux délais.