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s’intéressent pas à lui, et les amateurs de musique ne s’inquiètent guère si l’exécution de ses œuvres, au sens complet du mot, est bonne ou mauvaise, ou si même les ciseaux du régisseur ont mutilé le texte, de façon à rendre méconnaissable le sens dramatique ; ce qu’ils veulent, c’est se griser de musique, et cela leur suffit. Aussitôt après les premiers concerts de Wagner, à Paris, il se forma autour de lui un cercle de partisans enthousiastes, où l’on comptait peu ou point de musiciens, mais, par contre, beaucoup de poètes, d’écrivains, de peintres, d’historiens de l’art, et des plus distingués,… puis des médecins, des ingénieurs, des hommes politiques, tous gens que ne groupa point autour du maître la seule soif de la musique, mais bien le sentiment, plus ou moins net, qu’il leur apportait un nouvel idéal artistique. Ils se rendaient compte que l’action si puissante de cette musique même n’avait pas tant sa source dans la construction mélodique et harmonique, que bien plutôt dans ce fait qu’en elle s’incarnait, en quelque sorte, une intention éminemment poétique. Ce que Schiller avait demandé, que « la musique devînt forme palpable », cela était enfin réalisé, et l’esprit des Français, si sensible à la forme, n’avait pas tardé à le reconnaître. N’étaient-ce pas déjà les Français qui s’étaient enchantés de Gluck, quand sa musique était encore prohibée dans sa patrie, et que la sœur du grand Frédéric disait de cette musique « qu’elle puait » ? La Neuvième symphonie de Beethoven était magistralement exécutée à Paris, à un moment où elle était encore presque inconnue en Allemagne ; et dans ce même Paris, Wagner devait trouver un cercle d’intelligences d’élite, promptes à deviner la haute signification de son génie, et à entrevoir tout au moins quelque chose de ses aspirations