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l’introduction la plus magistrale à la poésie et à la musique de Wagner qui se puisse lire[1]. Enfin, Liszt fut l’infatigable champion du maître auprès des princes allemands, des directeurs de théâtre, des amateurs de musique, et Wagner pouvait lui écrire, vers la fin de 1851 : « Je te proclame, sans ambages, l’auteur de ma situation actuelle et de l’avenir qu’elle semble me permettre d’entrevoir. » Encore tout cela n’était-il rien auprès de ce qu’étaient l’amour de Liszt, son intelligente sympathie, sa foi inébranlable, pour celui qui languissait encore dans un isolement artistique presque complet. Liszt fut le premier à comprendre la haute signification, et pour emprunter ses propres expressions, le « divin génie » de Wagner. Celui-ci lui écrit dans l’effusion de son cœur : « Tu es bien le premier qui m’aies fait éprouver la volupté qu’il y a à être entièrement, absolument compris ; je semble m’être comme résolu en toi ; pas une fibre de mon être, pas une palpitation de mon cœur, qui aient échappé à ta sympathie. »

L’amitié de ces deux grands hommes, telle que nous la révèle leur correspondance, a été souvent comparée aux relations de Gœthe et de Schiller. La comparaison me paraît boiteuse à double titre. L’amitié de Schiller et de Gœthe est purement intellectuelle : on croit entendre deux poètes, se promenant ensemble dans les Champs élyséens et charmant les loisirs d’une éternité assurée par de sereines discussions sur l’art et sur leurs œuvres. Ici, au contraire, tout est dramatique, tragique, comme marqué au coin d’une fatalité supérieure. Franz Liszt débute par sauver la vie de

  1. Ces écrits, dont on ne saurait trop recommander la lecture, ont été rassemblés et réédités, en 1881, par Breitkopf & Härtel.