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lui, était bien autre, autrement profonde aussi, que celle des radicaux de 1848 même les plus avancés. Aussi l’appelle-t-il « l’anéantissement de toute la forme sociale actuelle. »

On ne saurait donner de meilleur exemple du rapport vrai entre Wagner et le mouvement politique de l’époque, qu’en racontant en quelques mots ses relations avec Roeckel, l’un de ses meilleurs amis de Dresde, et un homme de 48 dans toute la force du terme. Roeckel, descendant d’une famille de musiciens, destiné à l’art dès son jeune âge, était directeur de musique à l’Opéra royal de Dresde : au fond, c’était une nature plus foncièrement politique qu’artistique. Violent, énergique, sincèrement convaincu, cet homme, aux sentiments d’une incontestable noblesse, était capable de tous les sacrifices ; il prit une part très ouverte au mouvement de mai et expia son intrépidité par douze ans de cachot. Aucun des révolutionnaires d’alors ne fut plus lié avec Wagner, et jusqu’à sa mort, en 1876, il lui resta fidèle. Il n’en était pas moins absolument incapable de rien comprendre aux vues de son ami, et, par la suite, sa cécité intellectuelle, si je puis me servir de ce terme, ne fit que s’épaissir. Seul l’éblouissement d’enthousiasme qui, en 1848, transporta l’Allemagne, et dont l’exaltation souleva au-dessus d’eux-mêmes jusqu’aux hommes les plus sobrement positifs, seul ce moment de fièvre intense put expliquer une telle illusion réciproque. De plus, l’idéalisme très sérieux d’hommes cumme Roeckel, cet idéalisme que surchauffait encore le souffle embrasé de l’époque, a pu et dû donner le change à Wagner sur leur véritable valeur intellectuelle, si inférieure à la sienne. Plus tard, sa correspondance le prouve, il s’en rendit fort bien compte ; il conserva toute son affection au fidèle