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peut s’exercer dans toutes les directions, ne nous apprend rien encore sur la nature essentielle de la personnalité. Ce qui distingue Wagner, outre son absolue sincérité, son horreur du mensonge sous toutes ses formes, c’est le désintéressement, l’oubli de lui-même. Pour l’observateur superficiel, voyant Wagner ne s’occuper exclusivement, en tout et partout, que de son affaire, il pouvait apparaître comme un type achevé d’égoïsme. Mais « son affaire » était l’affaire de tous, la cause sacrée de l’art et de l’humanité : un tel mépris de tout mobile intéressé, une aussi complète absence de prudente souplesse et de sagesse mondaine est sans exemple. Sans doute, Wagner demandait aux autres de se sacrifier largement jusqu’au bout, mais il ne vivait, il ne respirait lui-même que pour le but idéal qu’il leur montrait. Ce n’étaient ni la gloire, ni les honneurs à quoi il aspirait : « Je ne tiens pas à être célèbre », écrivait-il en 1851 à son ami Uhlig ; et plus tard, à Liszt : « Au diable la gloire et toutes ces sornettes ! Nous ne vivons plus dans un temps où la gloire puisse donner ni joie, ni honneur. » Le but de Wagner, on ne saurait trop le répéter, était tout impersonnel : il voulait rendre à l’art la dignité qui lui appartient. Et si, durant sa vie, il eut jamais soif d’encouragement, s’il souhaita une récompense, ce n’était ni de la gloire, ni de l’or qu’il demandait, c’était un peu d’amour, a Cet homme ne pourra jamais être complètement heureux, » disait de lui le comte de Gobineau, « car il y aura toujours autour de lui quelqu’un dont il devra partager la peine. »

Qu’on entende Wagner parler de sa mère, qu’on considère son touchant attachement pour sa première femme, qui pourtant mêla, sans s’en douter, tant d’amertume à l’intimité de son foyer, qu’on songe