Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tannhäuser, de la vieille routine de l’Opéra, et demandait aux chanteurs de s’appliquer, en première ligne, à « représenter » l’action et ses personnages ; lorsque enfin, en 1846, il proclamait et s’efforçait de démontrer que la Neuvième Symphonie de Beethoven est un « Évangile humain », et non, comme on le pensait à Dresde « l’œuvre manquée d’un artiste frappé de surdité », la critique, se dressant dans toute son aigreur en face de cet incommode trouble fête, « travailla avec une jalouse animosité, à égarer systématiquement le public ».

Dans un opuscule paru en 1843[1] nous trouvons l’étrange jugement que voici : « Les œuvres de Wagner sont les créations d’une imagination puissante et sans frein, d’un génie riche, presque trop riche, et s’écartent complètement de la voie tracée par les compositeurs anciens et modernes, un vrai chaos de sons, un océan d’harmonie, dont le spectateur, il est vrai, est d’abord étonné plutôt qu’il n’arrive à se les assimiler. Cet homme est jeune encore, le monde lui est ouvert, et il y fleurit plus d’un laurier dont les rameaux pourront orner sa tête. À Dresde, Wagner jouit sans partage de l’estime et de l’affection du public. » Et, qu’on veuille le noter, à cette époque Rienzi et le Vaisseau Fantôme avaient seuls paru ! Voilà le témoignage d’un écrivain impartial, témoignage d’autant plus précieux, que, peu de temps après, Wagner se voyait forcé de protester, dans les journaux, « contre la mise en suspicion systématique de ses vues artistiques » et contre l’audace des critiques qui, pour d’autres pleins « d’égards et de modération» jusque dans le blâme, prenaient toujours, vis-à-vis de lui, « le ton tranchant du mépris. »

  1. Kaleidoskop von Dresden, par C.-P. Stemau, Magdebourg, chez Inkermann.