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la tâche de sauver la religion, menacée de tant de côtés à la fois, en amenant, par la présentation de l’image, l’âme à saisir l’essence même, l’essence « intime de cette religion, de l’ineffable vérité divine »… Peut-être les grands poètes allemands, et au premier rang, le créateur de Bayreuth, se sont-ils trompés ? Peut-être comme Hans Sachs, n’ont-ils fait que rêver « un beau rêve du soir » ? Ou bien Wagner avait-il raison, quand il s’écriait : « Le jour viendra où ce monument, héritage que nous, les aînés, laisserons à nos cadets, ouvrira ses portes pour le salut de nos frères du monde entier ! » Peu importe : à son Bayreuth personne ne saurait au moins disputer cette haute signification, que c’est une première impulsion, un geste superbe qui achemine à sa réalisation la conception du rôle formateur de l’art dans la vie de l’humanité. « Il est donné à l’artiste », écrit le maître, « de voir d’avance, dans sa forme future, un monde encore informe, d’en jouir prophétiquement dans la force de son désir et de son espoir » ; mais ceci est caractéristique, chez Wagner, que sa propre conviction et sa propre jouissance ne lui suffisent pas ; toujours il lui faut créer pour les autres, et jamais, jusqu’à sa mort, qui le surprit la plume à la main, jamais il ne satisfit assez, à son gré, à son devoir envers le monde et envers l’art sacré, à son « devoir de fidélité », comme il l’appelait lui-même. C’est qu’il n’est point uniquement un artiste, point uniquement un penseur, mais aussi un réformateur au sens le plus étendu du terme. Vers 1850, déjà, il s’assigne comme but définitif « de montrer aux hommes la voie du salut ». Rien ne lui tient tant à cœur que le bien moral de son peuple et de l’humanité : il ne veut ni avoir agi, ni agir uniquement pour procurer des jouissances à ses semblables, mais aussi et