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son Anneau du Nibelung, et ce fut là que son rêve se réalisa. En un sens déjà plus large, c’est une scène où les œuvres de Wagner en général peuvent être représentées selon ses vues, puisqu’aucune autre salle de spectacle ou d’opéra ne pouvait y répondre et y suffire. Ce n’est que par des représentations d’un style à la fois sévère et spécial que le monde peut être mis à même de comprendre que, là, il ne s’agit point « d’opéras particulièrement compliqués », mais d’un nouveau genre de drame ; que Wagner non seulement nous a laissé une série d’œuvres d’art, mais qu’il a bien ouvert, à l’imagination créatrice des générations à venir, un domaine nouveau, propre à « des inventions éternellement nouvelles ». L’accès dans ce domaine réintègre le drame, l’art suprême, dans sa divinité véritable, dont il était déchu avec l’opéra ; du même coup il est affranchi de la « littérature » et du dilettantisme auxquels, dès longtemps, le spectacle parlé l’avait ravalé… On voit que les cercles vont s’agrandissant. Mais si le lecteur veut bien se rappeler ce que j’ai dit, dans la seconde partie, des idées de Wagner sur la dignité de l’art, il aura vite fait de comprendre que ce n’est point là tout : car, loin d’avoir imaginé Bayreuth seulement pour la glorification de ses propres œuvres, ou pour la réalisation d’une nouvelle forme de drame, le maître aspire à quelque chose qui dépasse de beaucoup et sa personne et la durée probable ou certaine de ses créations les plus géniales : l’art doit devenir un facteur déterminant, constructif, dans la vie du genre humain ; c’est à lui de montrer la voie « quand l’homme d’État doute, quand les bras du politique lui tombent, quand le socialiste s’acharne à de stériles systèmes » ; à lui de proclamer ce que le philosophe ne peut au plus qu’indiquer ; c’est à lui seul que revient