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C’est sans doute le sujet lui-même qui inspira au poète cette manière de le traiter. Dans Tristan, à proprement parler, nous ne pouvons point distinguer entre le foyer central et les foyers secondaires ; dès le début, tous les « moments » dramatiques se concentrent dans une action unique qui se dilate de plus en plus, jusqu’à « se noyer dans le rythme total de la respiration de l’univers », sans que rien du dehors ait pu influer sur le développement nécessaire de cette action unique et simple. À cet effet, le nombre des personnages est réduit au minimum possible, et, ce qui me paraît plus caractéristique encore, l’action elle-même, très compliquée dans la forme où elle s’était d’abord présentée à Wagner, est ramenée à ses « moments » les plus simples et les plus élémentaires. Deux personnages seulement, Tristan et Iseult, se meuvent au premier plan ; loin derrière eux, figures, types plutôt, déjà presque symboles de la fidélité virile et féminine, Kurwenal et Brangäne ; plus haut que ceux-ci, mais plus loin encore, le roi Marke ; enfin, se détachant à peine sur ces deux océans, la forêt verte ou la mer bleue, le pâtre, le jeune matelot, et Melot : et voilà tout. Si l’on veut, ici, il y a bien une figure centrale : Frau Minne[1], à tout moment invoquée, car il n’est pas un seul mot, au cours de tout le drame, qui n’ait immédiatement trait à l’amour. Iseult et Tristan ne se présentent qu’aux trois moments décisifs de leur tragédie amoureuse ; dès que le monde entre en scène, l’action, chaque fois, s’interrompt brusquement.

  1. Frau Minne, personnification de l’amour, est une figure familière dans les épopées du moyen-âge. C’est la Vénus allemande mais à une époque où l’allégorie plus charnelle (Vénus ou Frau Holda) n’était guère plus qu’une abstraction (V, Grimm, Mythologie allemande, 4e édition : I, 48, II, 744,)