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Mais, plus Wotan grandit, plus son cœur se purifie et sa pensée s’élève, et plus tragique se fait le destin, plus implacable l’anathème. C’est Siegfried même qui fait voler en éclats cet épieu, « le pilier du monde », le gage de sa puissance ; et Brünnhilde, à son réveil, oublie de faire « le geste sauveur du monde », omet de prendre l’anneau au doigt de Siegfried, pour le rendre aux Filles du Rhin ; elle ne songe ni à son père, ni à l’avenir, l’ardeur de l’amour la possède tout entière.

Et maintenant, dépouillé de toute puissance et de tout espoir, le dieu, « muet et grave, sur son siège élevé », voit s’approcher l’orage, vengeur du destin, qui va précipiter Siegfried et Brünnhilde « ces fleurs exquises de sa pensée », dans la ruine et dans la mort, à travers des souffrances sans nom.

Ce que le dieu regarde ainsi venir, c’est cette « catastrophe » finale, que Wagner, dans son premier projet, avait intitulée « la mort de Siegfried », mais qu’il appela, une fois qu’elle fut devenue le dénouement fatal de la tragédie le Crépuscule des dieux. Ici Wotan ne paraît plus sur la scène, mais les Nornes nous parlent de lui, et Waltraute paraît comme sa messagère ; par dessus tout, la musique, que les drames précédents ont si intimement liée au personnage de Wotan, dont proviennent tous les thèmes principaux, la musique atteint ici une puissance, en même temps qu’une précision incisive telles qu’on ne les retrouve en aucune œuvre connue au monde ; et il nous semble, en vérité, que c’est avec l’œil de Wotan lui-même que nous contemplions les événements, depuis le superbe :

Ô dieux saints, Êtres sublimes, repaissez vos regards de ce couple sacré !


qui commence le Crépuscule des dieux, jusqu’au