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conçu l’idée hardie d’opposer l’épée à l’or maudit, pour parvenir à la puissance universelle sans renoncer à l’amour ; mais il n’y saurait réussir, car il a touché l’anneau et « sa main avide s’est crispée sur l’or »… On voit combien l’art de Wagner atteint jusqu’au fond de l’âme. Ce n’est point l’imprécation qu’Alberich a pu prononcer sur l’anneau qui en fait le fatal anathème, c’est bien plutôt que Wotan lui-même, cet homme d’une incontestable noblesse, a convoité l’or, ne fût-ce qu’une heure ; voilà où gît la malédiction, et celle-ci poursuit tous ceux qui lui devaient la vie.

La ruine de Wotan n’est due à aucune circonstance extérieure ; son esprit et son âme dominent de haut tous les êtres vivants ; « tous se courbent à jamais devant le maître invincible dont la main brandit l’épée. » C’est dans le déchirement de son propre cœur, dans la lutte entre son avidité de pouvoir et sa soif d’amour, c’est dans cette guerre intime de son âme qu’est le germe de son inéluctable destruction. Et c’est parce que Wotan, un homme pourtant, a quelque chose de vraiment surhumain, que le poète peut accumuler, dans cette destruction, une telle plénitude d’horreur tragique. Génération après génération passent devant le « Dieu » ; chaque fois un nouvel espoir naît dans son cœur, et chaque fois plus noble, plus désintéressé. Si, par exemple, à la mort de Siegmund, son sombre désespoir l’a poussé à renoncer à son rêve de domination universelle, il renaît, devant Siegfried, à une nouvelle et joyeuse espérance :

Ce que j’ai résolu naguère dans les affres du désespoir, je le veux désormais dans l’élan d’une joie sereine ; si j’ai, plein de rage et de dégoût, abandonné le monde à la haine envieuse des Nibelungen, maintenant, j’assigne mon héritage aux glorieux Wälsungen.