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avait une Vierge au-dessus de sa table de travail, et à sa place, pendant la « phase de foi religieuse », le portrait de Schopenhauer.

Revenons à l’Anneau du Nibelung.

Jusqu’ici, je n’ai parlé que du premier projet, de l’année 1848 ; c’est qu’aussi ce geste poétique est bien digne de la plus grande attention. On se souvient comment alors Wagner, après avoir embrassé du regard le mythe tout entier, dans sa cohésion grandiose, et ainsi créé « la légende des légendes », se mit à l’œuvre, pour adapter à la scène une catastrophe, une péripétie capitale de ce mythe, seule chose qui lui parût alors possible, « dans les conditions du théâtre actuel ». Cette catastrophe, c’était la Mort de Siegfried. Mais par là même que, dans cette action dramatique, tant de choses appartiennent à un passé déjà disparu au point où elle commence, la conception poétique garde une obscurité qui forme comme la base des défauts communs à tous les autres essais poétiques qui ont pris pour thème l’épopée des Nibelungen ; dans ces derniers on ne se rend jamais bien compte du rapport qu’il y a entre Brünnhilde et Siegfried, surtout dans leur relation avec Gunther et Gutrune (Chriemhilde) ; chez Wagner, au contraire, c’est justement l’amour de Siegfried et de Brünnhilde, et la trahison qui aboutit à leur mort, qui formaient tout le drame. Par contre, « la grandiose connexion, qui seule donne aux figures leur signification formidable et décisive », cette lutte universelle pour l’empire du monde, demeurait jusqu’à un certain point voilée, car on n’en savait rien que par des récits. C’était aux Nomes, aux Valkyries et à Alberich (dans la scène où il paraît avec Hagen), à nous faire connaître, au cours du drame, les événements qui avaient précédé. Et Wagner