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serait senti mal à l’aise dans cet inconfortable royaume de négation de la volonté de vivre. Les Maîtres Chanteurs, 1861-1867, nous montreraient comment « il triompha peu à peu de la phase pessimiste, et comment des idées plus saines se firent jour en lui » ; enfin, la grâce d’en haut l’aurait touché, Saül se serait changé en Paul, et ce serait dans cette dernière métamorphorse, « la phase de la foi religieuse », que Wagner aurait composé Parsifal !

Il n’y a pas là un atome de vérité, ni chronologique, ni biographique, ni psychologique, ni surtout, artistique. Chronologiquement, il faut jongler avec les chiffres pour nier la genèse synchronique des œuvres de la seconde moitié de la vie de Wagner ; et le point de vue psychologique est encore moins soutenable, puisqu’un homme ne saurait changer sa « vision universelle des choses ». Mais artistiquement l’erreur est encore plus manifeste. « L’artiste se trouve en face de son œuvre comme devant une énigme », a dit Richard Wagner. Shakespeare écrivit son Henri IV dans le but d’adapter à la scène l’histoire d’un roi médiocre, et, par là, créa une trilogie d’une insondable profondeur ; Jean-Sébastien Bach pensait écrire un livre d’exercices pour des débutants pianistes, et ainsi il écrivit le Clavecin bien tempéré ; on commanda à Wagner un opéra pour des Brésiliens, et il produisit Tristan et lseult ! Mais même les concepts, les notions rationnelles, auxquelles l’artiste peut rendre hommage au moment où il crée, sont, par rapport à cette création, quelque chose d’extérieur ; aussi, même là où il croit leur obéir, souvent il ne le fait pas. Voilà ce que n’ont pas compris les auteurs de la théorie des phases. Wagner lui-même distingue, avec raison et sagacité, entre la « vision directe de l’univers » et la