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quelle tragique grandeur l’action acquiert par le fait que Sachs aime Éva et doit « dompter la douce langueur qui alourdit son cœur. » Je l’ai dit, Sachs se place dès lors au vrai centre du drame, non seulement par la supériorité du génie, mais parce que cette supériorité se réfléchit dans son cœur, parce qu’elle ne nous fait plus penser seulement, mais sentir. Et maintenant, dans le poème ainsi conçu, tout ce qui, auparavant, n’était qu’ironie amère, se transforme en « cette gaîté, d’une élévation véritable, où s’apaise la douleur ».

Pareille conception du drame imposait la coopération de la musique ; c’est encore trop peu dire, car vraiment cette conception «n’était possible que chez un musicien ». Ce Sachs là ne pouvait plus nous être présenté comme un héros de la parole seulement, ni comme un héros plaintif et lamentable. Une seule fois, nous l’entendons se murmurer doucement à lui-même : « Oui, devant l’enfant, en son auguste charme, j’eusse aimé à chanter » ; partout ailleurs, sa douleur se tait, et ce n’est que par les remarques plaisantes qu’il fait à Éva, et par les aveux de celle-ci, que nous pénétrons au fond des choses. Mais combien éloquent, combien clair et distinct, par contre, est le langage des sons, qui nous ouvre le tréfonds de ce cœur de héros ! Au moment même où Hans Sachs, pour la première fois, se fait le champion de Walther, une plainte profonde, s’élève déjà de l’orchestre, qui, dès lors, se fait toujours plus poignante. Et, dans le second acte, contrepointant la joyeuse chanson du cordonnier, par laquelle le rusé Sachs fait échouer, à la fois, et le plan de Beckmesser, et la fuite inconsidérée des jeunes gens, retentit déjà le thème merveilleux, déchirant, qui, dans l’introduction au troisième acte, atteint à la plénitude de son développement dramatique, et y révèle enfin son sens le plus profond.