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Il est facile de répondre, si l’on compare le premier projet avec le poème ultérieur.

Ce projet de 1845, longuement exposé dans la Communication à mes amis, présente, dans l’enchaînement des péripéties, une identité complète avec le poème à venir. Mais, en y regardant de plus près, on constate une divergence intime : dans le premier projet, pas de trace de l’amour de Sachs pour Éva ; dès lors, pas de conflit non plus dans le cœur du cordonnier-poète ! Sachs est conçu là comme une figure purement historique, comme « la dernière incarnation de l’esprit populaire artiste et créateur » ; il reconnaît le talent du jeune chevalier, Walther de Stolzing, il l’aide à obtenir, de la façon que l’on sait, la main d’Éva, et, pour finir, il exalte la maîtrise des chanteurs.

D’un seul coup, dans le poème postérieur, tout cela change. Ici, Hans Sachs n’est plus seulement le principal personnage du drame, mais c’est le fond de son cœur qui rayonne au centre même de l’action ; pour employer une expression commode, toute cette action est reportée du dehors au-dedans. Les péripéties extérieures ne servent qu’à peindre et à réfléchir ces « événements intérieurs purement humains » qui, seuls, peuvent donner à l’action le caractère « de la nécessité, en permettant à nos cœurs de s’y joindre par la sympathie ». Le Hans Sachs de l’histoire, on le sait, a épousé, dans un âge déjà avancé, une toute jeune fille, et a vécu fort heureux avec elle. Chez Wagner, dans le poème définitif, Sachs aime Éva « depuis bien des années », Éva, dont la main doit être « le prix inappréciable » du concours des chanteurs. Et cet amour était réciproque ; la belle enfant envisage la chose comme convenue : Sachs la prendra chez lui « à la fois comme