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sions dans le génie un être qualitativement différent de l’humanité, un être extra-humain égaré sur notre planète, ou qu’au contraire nous adoptions cette autre idée, plus consolante, de Wagner, qui consiste à tenir le génie pour le représentant d’une énergie créatrice inhérente au genre humain tout entier, d’une énergie qui, dans une société humaine différemment constituée, se manifesterait dans son universalité avec une puissance encore inimaginable, mais qui, à l’heure qu’il est, ne peut produire que des poussées isolées, individuelles ; de quelque façon que nous envisagions le génie, il reste certain que les œuvres sont quelque chose de particulier, de séparé, d’incomparable, et ne sauraient se classer que parmi les phénomènes de la nature. Sur ces œuvres, la critique, au sens usuel et étroit de ce mot, perd tous ses droits ; en effet, il lui manque tous les critères d’un jugement comparatif, et elle ne saurait s’aventurer ni à l’approbation, ni au blâme. « C’est par le génie que la nature donne ses règles à l’art », dit Kant ; ce n’est donc que dans les œuvres du génie que nous apprenons à connaître ces règles ; et la seule aune à laquelle nous puissions le mesurer, c’est lui-même. Sans doute, la comparaison, entre elles, des œuvres du génie aux diverses époques garde un très grand intérêt ; mais elle ne saurait consister que dans l’étude des moyens grâce auxquels l’harmonie parfaite de l’émotion et de l’expression s’est produite, selon les temps et les races.

Nous rejetons donc, d’emblée, toute prétention à faire de la « critique », en considérant ici les œuvres d’un homme de génie, et nous n’emploierons ce que nous pouvons avoir de sagacité critique qu’à démêler clairement ce qu’il y a en elles de distinctif et d’incomparable. Aujourd’hui, on taxe « d’idolâtrie » cetle