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espèce, dont la science ne nous donne jamais qu’une notion toute abstraite.

Il faut remarquer, d’autre part, que l’art est infiniment plus apte que la science à jouer un rôle collectif et universel. C’est seulement à l’étendue infinie de sa matière que la science doit le grand nombre de ses chercheurs. Par essence, elle est d’une nature égoïste. Entre elle et l’ensemble du peuple, il ne saurait y avoir de relations directes. Elle n’a point de patrie. Et le savant lui-même ne possède d’elle que la part qu’il s’en est personnellement acquise. Les plus belles conquêtes de la science ne sont encore que la propriété d’une caste : tandis que l’art véritable, l’art vivant, vient de la collectivité et y retourne. Si sublime que soit le génie d’un artiste, mille liens le rattachent toujours à la société qui l’entoure ; et Wagner a pu dire, en ce sens, que « l’individu isolé ne saurait rien inventer, mais peut seulement s’approprier une invention commune ». Il n’a point cessé non plus de protester contre l’emploi courant, et à son avis trop commode, du mot de génie, pour désigner une force de création artistique qui lui paraissait plutôt collective qu’individuelle. Il n’admettait point qu’on considérât l’artiste comme un prodige tombé du ciel ; il ne voyait en lui que la « floraison d’une puissance collective, floraison capable de produire à son tour des germes nouveaux. » Et de même que les œuvres d’art ont besoin de cette puissance collective pour naître, c’est à elle aussi qu’elles retournent : car une œuvre n’est belle que si elle émeut d’autres âmes après celle qui l’a créée. « Le drame, disait-il, ne peut être conçu que comme l’expression d’un besoin de création artistique commun ; et de ce besoin commun doit résulter pour le drame une sympathie commune. Lorsque l’une ou l’autre de ces con-