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peut fournir à l’art sa matière et sa forme. Pour qu’une œuvre d’art soit vivante, il faut qu’elle jaillisse direcment dela vie. »

Ainsi la vie a besoin de l’art pour se réorganiser et « nous devenir supportable » : et l’art, de son côté, pour être la fonction suprême de la vie, doit puiser en elle sa matière et sa forme. Il y a là une de ces antithèses qu’on rencontre souvent dans les écrits de Wagner ; mais les deux thèses n’ont rien de contradictoire, et l’on découvre tout de suite leur liaison intime. Seules les conditions de notre vie moderne nous obligent à les séparer, par le fait de la séparation radicale qui s’est produite chez nous entre l’art et la vie. Si l’art avait continué à se développer harmonieusement, tel qu’il était au temps de la tragédie grecque (que Xénophon appelait « la véritable éducatrice de la Grèce »), nous n’aurions pas aujourd’hui une vie sans art et un art obligé de se maintenir en dehors de la vie : car l’action réciproque de l’art et de la vie aurait pu s’exercer librement. Mais nous subissons désormais les effets de cette « grande révolution de l’humanité, dont les premiers actes ont été la décomposition de la tragédie grecque et la dissolution de l’État athénien. » L’art est devenu si étranger à la vie, qu’il pourrait disparaître demain tout entier sans que la vie s’en trouvât modifiée. Et de là résulte que la doctrine artistique de Richard Wagner, pour une et homogène qu’elle soit, ne saurait s’exprimer qu’en deux thèses séparées. Tantôt, en effet, dans ses écrits, le maître considère l’art en fonction de la vie, et se demande quel devrait être son rôle dans une société bien organisée ; et tantôt il s’efforce, avec plus de détail encore, d’établir sous quelle forme et à quelles conditions « l’art pourrait devenir la plus haute fonction de la vie ». De sorte que,