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I


Dès le début de cette période, et jusqu’à la fin de sa vie, c’est dans l’art grec que Wagner a pris le point de départ de ses théories : non pas qu’il ait eu l’intention d’emprunter à l’architecture, à la sculpture, à la musique, au théâtre grecs, des règles positives et permanentes ; mais parce que, suivant son expression, « les ruines elles-mêmes du monde grec nous enseignent à présent de quelle façon la vie, dans notre monde moderne, pourrait nous être rendue supportable. » Ainsi l’art véritable possède, d’après Wagner, une valeur si haute, que ses ruines elles-mêmes peuvent encore nous servir de leçon ; et non point pour nous apprendre à créer des œuvres d’art, mais pour nous montrer de quelle façon nous devrions réorganiser notre vie.

La vie, en effet, ne peut être « supportable » pour l’homme que dans une société où « l’art en constitue la fonction la plus haute ». Et tel n’est pas, assurément, le cas de notre société d’à présent. L’art n’y est point la fonction la plus haute de la vie. Nous l’entendons plutôt comme l’entendait Rossini, qui donnait pour fondement et pour objet essentiel à tout art « de nous aider à tuer notre temps ». Tout ce qui s’élève aujourd’hui au-dessus de cette conception n’est encore que « des vœux, plus ou moins clairement exprimés : en fin de compte un nouveau témoignage de notre impuissance ». Et notre impuissance provient de ce que l’art moderne est un luxe, une chose superflue, « un art artificiel », faute de pouvoir s’appuyer sur la vie. « C’est de la vie seule que peut naître un besoin réel d’art », dit encore Wagner, « et c’est elle seule qui