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rence consiste en ce que Wagner croit à des destinées du genre humain fixées « en dehors de l’espace et du temps », à une « signification morale du monde ». Toute sa doctrine de la régénération sort de cette foi. Du progrès matériel, elle n’a cure. À l’idée de progrès, elle oppose celle de l’harmonie avec la nature ; non qu’elle prêche simplement le retour à la nature, mais elle veut que l’unité de l’homme et de la nature, qui a inconsciemment formé la vie de l’homme primitif, soit érigée en loi consciemment acceptée. Ni le perfectionnement des machines, ni l’accumulation infinie des connaissances scientifiques ne font tomber une larme de moins dans l’océan de la misère humaine ; aussi la signification de ces choses n’est-elle que passagère et relative, non point éternelle, ni absolue. La pensée de la régénération, chez Wagner, n’a en vue que l’homme en tant qu’être moral. Au fond, peu lui importe d’atteindre un but temporel ; ne va-t-il pas jusqu’à dire que l’humanité peut aller à la ruine, « si seulement cette ruine est divine » ? Le passage suivant de La Religion et l’Art ne laisse pas subsister le moindre doute sur la conception de Wagner : « Que l’état produit par une régénération du genre humain soit aussi paisible qu’on voudra, grâce à l’apaisement de la conscience, encore est-il que dans la nature qui nous environne, dans la violence des éléments, dans les manifestations invariables de volontés inférieures, agissant parmi nous et près de nous, dans la mer comme dans le désert, bien plus, dans l’insecte, dans le ver que nous écrasons sans nous en douter, le tragique effroyable de l’existence universelle nous restera sensible, et, tous les jours, il nous faudra bien lever les yeux vers le Rédempteur crucifié comme vers le dernier et suprême abri. »