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flots de boue qu’ils provoquèrent à son adresse ! Nous comprenons, certes, que Wagner, en fait, n’ait point perdu par là un seul de ses amis israélites vraiment « sympathiques », et qu’il comptât même s’en faire de nouveaux, par cet écrit, parmi les autres Juifs. Car il ne s’agissait point pour lui d’une simple question du jour, de pure actualité, mais bien « d’une idée dont la portée embrasse toute l’histoire de la culture humaine ».

Dès le début de l’opuscule, Wagner s’assigne pour objet « d’expliquer ce sentiment inconscient d’aversion populaire pour tout ce qui est juif, de formuler ainsi quelque chose qui existe en fait, mais nullement de prétendre susciter, par le jeu d’une imagination quelconque, quelque chose qui n’existerait pas ». Comment écarter cet état de fait, comment jeter un pont sur la crevasse béante entre les races ? Wagner en appelle à une régénération possible de l’humanité, et dit aux Juifs : « Joignez-vous sans réserves à cette œuvre de salut, par où l’anéantissement du moi aboutira à une vraie nouveauté de vie, et nous serons unis, confondus, sans plus de différences qui nous séparent ! Mais souvenez-vous qu’il n’y a pour vous qu’un moyen de vous soustraire à la malédiction qui pèse sur vous : le salut d’Ahasvérus, c’est l’anéantissement ! » Et ce qu’il entend par « anéantissement » ressort clairement d’une phrase précédente : « Mais, devenir pleinement homme avec nous, c’est, pour ainsi dire, pour le Juif, cesser d’être Juif »[1].

  1. On ne saurait se rappeler sans une douce gaieté, qae MM. Joachim, Moscheles, Hauptmann, David, etc., se sentirent tellement offensés par cette invitation à « devenir pleinement hommes avec nous », qu’ils demandèrent que l’éditeur de la Nouvelle Revue musicale, Franz Brendel, fût destitué de sa place de professeur au Conservatoire de Leipzig ! Au reste, les mots de Wagner rappellent, sous une forme très mitigée, ce que Luther avait dit aussi : que les Juifs devaient cesser d’être Juifs : « sinon, nous ne devons pas les tolérer chez nous ».